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A Vovchansk, au nord de l’oblast de Kharkiv et à Lyptsi plus à l’ouest, deux incursions de l’armée Russe ne sont pas passées inaperçues. Pour tout comprendre, le front Ukrainien depuis novembre 2022 s’étire de la frontière Russe dans l’oblast de Louhansk, jusqu’à la mer Noire dans l’oblast de Kherson. Les fronts Nord et Nord-Est de 2022 sont depuis largement inactifs. La ville de Kharkiv et ses environs sont donc hors des combats depuis la contre-offensive victorieuse menée par les Ukrainiens en septembre 2022.

Face à la réactivation du front nord-est, un dilemme pour les Ukrainien

L’attaque russe déclenchée il y a quelques semaines déjà avait surpris les Ukrainiens. Le nord de Kharkiv, deuxième ville d’Ukraine, étant une des seules zones où la ligne de défense n’était pas vraiment avancée voir largement incomplète, plusieurs images ont fait état d’ouvrages anti-chars incomplets, d’impréparation des champs de mines et de l’absence de soldats dans les tranchées. Plusieurs unités sont arrivées en renfort en quelques jours. Parmi elles, nous avons pu constater la présence de la 57ème Brigade Motorisée venue du front de Donetsk, la 36ème Brigade d’Infanterie de Marines venue de Kherson, la 82ème Brigade d’Assaut aérien venue du front de Bakhmout-Tchasiv Yar, la 42ème Brigade Mécanisée nouvellement formée et plusieurs autres bataillons indépendants pour renforcer les quelques brigades de défense territoriales et de gardes frontières déjà sur place. 

En face, l’armée Russe aligne son groupe opérationnel « Nord », nouvellement créé qui serait fourni d’environ 50 000 hommes. L’attaque est principalement une attaque d’infanterie, de nombreux combats urbains ont donc eu lieu, principalement dans cette petite ville de Vovchansk.

Carte BBC de la situation au front au nord de l'oblast de Kharkiv

Mais pourquoi attaquer ici ? Depuis plusieurs mois, l’armée Russe met la pression sur les régions frontalière de l’Ukraine, Tchernihiv, Soumy et Kharkiv, afin de mobiliser des réserves Ukrainiennes qui pourraient être déployées ailleurs sur le front. Pour l’Etat major à Kiev, l’enjeu est trop important, formant un dilemme: si un intérêt trop grand est donné aux unités Russes qui attaquent Kharkiv, le front de l’est et du sud risque d’être dégarni, facilitant les avancées locales Russes, comme cela a été le cas durant l’hiver avec la prise d’Avdiivka, une petite ville stratégique devant Donetsk. Mais si il n’y a pas suffisamment d’unités déployées pour défendre la zone, le risque est double, voir l’armée Russe débouler sur la seconde ville du pays et menacer l’arrière Ukrainien au pire, ou voir l’artillerie Russe à portée de tirs de Kharkiv et de ses habitants au mieux. Il faut donc doser, d’où le piège Russe qui fonctionne, l’armée Ukrainienne a du redéployer plusieurs brigades du front, l’engageant dans des choix stratégiques alors que deux batailles d’ampleur se poursuivent, celle pour s’emparer du bastion de Tchasiv Yar qui donne l’accès à Kramatorsk, capitale du Donbass sous contrôle Ukrainien et celle à l’ouest de Donetsk, pour avancer sur Pokrovsk, dernière ville de l’ouest du Donbass Ukrainien.

Carte de la situation au front, le vert représente les récentes avancées Russes, la ligne Rouge le front de 2014 @clement_molin

On l’aura compris, l’attaque Russe au nord de l’oblast de Kharkiv et les récents mouvements de troupes dans les régions frontalières de Koursk et de Belgorod font craindre l’ouverture de nouveaux fronts. Pour le moment nous avons vu principalement des diversions de l’attaque principale en cours pour avancer dans le Donbass. Mais à l’avenir, l’Ukraine craint que l’armée Russe ne tente de contourner le front du Donbass pour avancer directement depuis le nord de l’Ukraine comme l’avaient fait les armées soviétiques et allemandes durant la Seconde Guerre mondiale lorsque Kharkiv était une ville cruciale des combats pour éviter le Donbass, une zone tellement densément peuplée qu’elle devenait imprenable.

Vovchansk, une petite ville rasée de la carte en quelques jours

Il n’aura pas échappé aux observateurs que l’armée Russe dispose d’un avantage aérien réel depuis plusieurs mois grâce à un petit composant industriel surprenant, le kit de guidage. Ajouté sur des bombes non guidées, ces kits permettent de larguer des bombes à plusieurs dizaines de kilomètres du front (70/80km parfois) sans risquer l’avion face à la défense aérienne Ukrainienne en manque de munitions. Ces bombes retombent ainsi sur le front ou elles font des dégâts considérables, on parle ici des FAB 500 (kg) et des nouvelles FAB 1500 (kg). Cet avantage permet de détruire les positions et les bâtiments Ukrainiens, mais cela conduit à la destruction de villes entières, comme la petite cité de Vovchansk. Ainsi, cette ville située à moins de 5km de la frontière est facilement visée par l’aviation Russe qui ne risque rien. Au début de l’attaque, les civils avaient été évacué en majorité pour éviter les pertes collatérales dans ces attaques meurtrières.

En résumé de cet analyse, on peut dire plusieurs choses, l’attaque au nord de Kharkiv peut globalement être considérée comme un échec pour bon nombre d’observateur. Cependant, il est important de noter que son objectif initial n’est pas de s’emparer de Kharkiv, mais de créer un front facile d’accès et loin du front principal ou les unités Ukrainiennes vont se casser les dents à libérer les territoires. Tout cela se fait évidemment au détriment des pertes humaines de l’armée Russe qui sont importante, mais aussi au détriment des pertes civiles dans les bombardements récurrent de la seconde ville d’Ukraine.

Il faut enfin noter qu’une des réactions occidentale à cette attaque a été d’autoriser l’armée Ukrainienne à utiliser des armes occidentales pour frapper, sur le territoire Russe les bases et positions qui servent au lancement des attaques sur l’Ukraine. On pense ainsi que l’Ukraine pourrait utiliser les missiles HIMARS américain ou encore les missiles SCALP-STORM SHADOW Franco-Britanniques pour frapper les bases Russes directement en Russie. Cette mesure, portée par le président Français Emmanuel Macron a été largement accepté par les alliés de l’OTAN, même si elle parait pour certains escalatoire.

 

Clément Molin

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