L’invasion de l’Ukraine en février 2022 a provoqué un douloureux réveil pour les nations européennes qui doivent faire face au retour d’une guerre de haute intensité sur le continent. Le conflit a démontré la réelle menace que peut représenter la Russie pour l’Europe centrale, entrainant des politiques de réarmement générales en Europe jamais vues dans les dernières décennies.

La Pologne s’inscrit dans cette dynamique historique, le pays souhaite acquérir une puissance militaire qui repousserait définitivement toute menace russe. Nous nous intéresserons particulièrement à ce pays, symbole de la prise de conscience de la menace russe.

 

La menace russe

La Pologne doit son réarmement massif à une position géographique complexe qui place le pays dans une situation complexe. Partageant 418 km avec la Biélorussie, la Pologne est consciente de la potentielle menace que pourrait représenter le pays d’Alexander Loukachenko, qui avait déjà joué un rôle dans l’invasion de l’Ukraine et dont les liens étroits avec la Russie accentuent la méfiance polonaise.

À cela, nous pouvons mettre en avant l’enjeu de Kaliningrad, exclave russe touchant la Pologne et la Lituanie, relié par le couloir de Suwałki, zone stratégique pour la Russie et pour les pays de l’OTAN, seule zone terrestre reliant l’Europe au pays baltes. Cette zone est considérée comme étant l’une des plus sensibles de l’OTAN, les pays de l’Est souhaitent donc avoir une force militaire à la mesure de ces enjeux. Le corridor de Suwałki est constamment mis sous pression, comme lors d’une vidéo ou le président biélorusse discutait avec un officier militaire, si la Biélorussie était capable de s’en emparer. Cet échange sur une possible invasion d’une partie de la Pologne et de la Lituanie, a pour premier objectif et effet de faire craindre les pays menacés d’un conflit armé.

Le couloir de Suwałki (en jaune) (carte par Paul Riff).

La volonté à vouloir se défendre provient également du fait que ces états vivent la guerre sur leur territoire, que cela soit lors de nombreux passages de drone au-dessus de leur territoire qui parfois s’écrasent sur le territoire d’un état pourtant hors du conflit. Un bref moment de flottement eut lieu le 15 novembre 2022 lorsqu’un missile s’écrasa en Pologne tuant deux civils. En premier lieu prêté aux russes, les renseignements polonais concluront que ce fut un tir accidentel des forces armées ukrainiennes. La Pologne connaît donc des victimes sur son propre sol à cause du conflit Russo-ukrainien, expliquant la prise au sérieux des menaces russes et biélorusses. Les flux migratoires provenant d’Ukraine important en Pologne dévoilent par ailleurs un impact direct du conflit ukrainien sur le territoire polonais.

Cratère causé par un missile le 15 novembre (Reuters).

Un manque de confiance envers l'OTAN

“L’armée polonaise doit être si puissante qu’elle ne doit pas avoir à se battre en raison de sa seule force” Mateusz Morawiecki. Cette phrase du Premier ministre polonais en novembre 2022, nous montre que la volonté polonaise est véritablement d’acquérir une indépendance militaire, afin de pouvoir faire face seule aux différentes menaces de son voisin russe.

Mateusz Morawiecki lors d'une visite aux forces spéciales à Cracovie, le 18 février 2023. (AFP)

Cette ambition d’indépendance militaire se développe dans le cadre d’une remise en cause de l’OTAN. Que cela soit par l’état de “mort cérébrale” dans laquelle serait l’organisation selon Emmanuel macron, ou encore les diverses critiques de Donald Trump envers elle. Pour la Pologne, ces critiques entraînent la peur que ses alliés ne respectent pas l’article 5 en cas de menace directe, poussant à posséder une force militaire indépendante.

Un budget en augmentation et des objectifs importants

Le budget de la défense polonaise va vivre une explosion budgétaire dans une courte période. En 10 ans (2014-2024), le budget passera de 8,5Mds de dollars à près de 26,8Mds, soit une explosion de près de 213%. Cette augmentation va permettre à la Pologne d’acquérir un matériel moderne, à l’image du mois de juillet 2022 qui va connaître une commande jamais vue auparavant. En 2024 près de 51,1% du budget de la défense sera consacré exclusivement à l’équipement, incluant donc les différents achats du pays.

Des achats qui s’accompagnent d’objectifs précis, la Pologne souhaite ainsi aligner 300 000 militaires en 2035, objectif important qui s’inscrit dans la continuité d’une transformation de l’armée polonaise qui a lieu maintenant depuis la moitié des années 2010. Une augmentation des effectifs est déjà visible depuis plusieurs années, passant de 100 000 individus en 2016 à près de 215 000 en 2024.

Dépense dans le secteur de la défense des membres de l‘OTAN (2014-2024) (NATO press release).

Retour sur ces achats historiques.

Depuis plusieurs années les achats d’armements polonais sont divers et démontrent une modernisation complète de l’armée du pays, que cela soit dans le domaine terrestre, aérien ou bien marin. Retour sur ces nouveaux matériels :

Pays constructeur : E= Etats-Unis C= Corée T= Turquie   P=Pologne R= Royaume-Uni

Systèmes terrestres :

Chars d’assaut : 250 Abrams M-1A2 (E), 116 Abrams M-1A1 (E), 1000 K2 Panther (C)

IFV (infanttry fighting vehicle): 1400 Borsuk (P), nombre inconnu de CBWP (P)

Véhicule de reconnaissance : 400 LPR Raycolt (P), 286 Kleszcz (P)

Véhicules de transport : une trentaine de Rosomak (P), nombres inconnus de NKTO (P)

Lance-roquettes multiples : 218 K239 Chunmoo (C), 500 HIMARS (E)

Artillerie : 200 Krab (P), 672 K9 (C)

Missiles surface-air : 6 batteries Patriot (E)

Borsuk (haut à gauche), HIMARS (haut à droite), Raycolt (bas à gauche), Abrams (bas à droite).

Systèmes aériens :

Chasseurs : 32 F-35 (E), 48 FA-50(C)

Transport : 3 C-130H Hercules

Drones : 24 Bayraktar TB2 (T), 1 MQ-9A

Hélicoptères d’attaques : 96 Apache AH-64E (E), 32 AW149(I)

Missiles de croisière : plusieurs centaines d’AGM-158

Apache (en haut à gauche), F/A 50 (en haut à droite), F-35 (en bas à gauche), Hercules (en bas à droite).

Systèmes navals :

Frégates : 3 Arrowhead 140 (R)

Arrowhead 140

L'ouverture de nouveaux partenariats

L’acquisition de tous ces nouveaux matériels va se faire également par le développement de nouveaux partenariats militaires ou l’approfondissement de certaines. Dans un premier temps, certains d’entre eux sont affirmés, c’est le cas avec les Etats-Unis qui vont fournir une grande quantité de ces équipements, à l’image de l’impressionnante commande d’HIMARS.  La Pologne va également se fournir au sein de ses alliés européens à une échelle bien moindre mais plus diversifié, ainsi des commandes à la France, à la Suède, à l’Italie et à la Norvège seront observés. La Pologne cherche à obtenir un matériel véritablement efficace, la commande de drone Bayraktar TB2, qui ont montré leur efficacité en Ukraine, à la Turquie le démontre.

Drone Bayraktar TB2 des forces armées polonaises. Octobre 2022 (Ministère polonais de la défense).

Mais le véritable symbole de ces nouvelles coopérations est la Corée du Sud, qui s’impose comme le nouveau partenaire majeur de la Pologne. En juillet 2022, la Pologne annonce un achat record de près de 1000 chars K2 panther et près de 672 obusiers K9 pour un montant qui atteindrait les 60 milliards de dollars. Il est important de noter qu’une partie de ces chars (près de 800) seront construit localement en Pologne, il y a donc également un transfert de technologies coréennes et de sa base industrielle.

Un obusier K9 et un char K2 Panther (ministère de la Défense polonaise).

La Pologne ; une exception européenne ?

Le réarmement polonais se caractérise par son unicité au sein d’une Europe qui se réveille plus lentement. La Pologne fait preuve d’une exemplarité au sein de l’Europe et plus globalement au sein d’une OTAN dont la fiabilité est remise en cause. Avec un budget militaire estimé a près de 4,12 % du PIB, la Pologne se place largement au-dessus de l’objectif des 2% fixée par l’organisation Transatlantique.

Defence Expenditure of NATO Countries (2014-2024) (NATO press release).

Bien que nous remarquions une augmentation généralisée des dépenses militaires en Europe, nous sommes passées d’un budget européen de 250 milliards en 2014 à près de 400 milliards en 2024, celles-ci n’ont pas la même importance en fonction des états. Tandis que les pays de l’Est comme la Pologne, mais aussi les pays baltes augmentent fortement leurs dépenses, les pays à l’ouest de l’Europe sont plus réservés sur ces questions. Les pays baltes augmentent sensiblement leur dépense depuis 2022 ; au sein de l’OTAN, l’Estonie est le second pays qui a augmenté le plus ses dépenses militaires par rapport à son PIB, passant de moins de 2% en 2014 à près de 3,43% en 2024. La Lettonie est quant à elle quatrième, en passant d’environ 1% en 2014 à près de 3,15% en 2024 tandis que la Lituanie est sixième, atteignant 2,85% la même année. La Pologne, symbole de cette augmentation brutale, s’inscrit donc dans un réarmement régional qui fait défaut au pays de l’Ouest.

En effet, l’Europe de l’Ouest est loin d’égaler l’effort militaire qui s’opère à l’est, ce pays étant impacté de façon plus indirecte, ainsi les pays comme la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, malgré leur position de premières puissances européennes, mettent en place un effort de guerre bien plus faible que leurs alliées à l’est. La France, passe ainsi seulement de 1,82% en 2014 à 2,06% en 2024. L’Allemagne, malgré la mise en place en 2022 d’un budget exceptionnel de 100 milliards alloué à la modernisation de la Bundeswehr, passe seulement la barre des 2% en 2024, passant de 1,64% en 2023 à 2,12% en 2024. Le Royaume-Uni atteint les 2,33% la même année tandis que l’Italie atteint péniblement 1,49%.

Defence Expenditure of NATO Countries (2014-2024) (NATO press release).

Prise de conscience polonaise ou propagande politique ?

De nombreuses critiques viennent remettre en cause la faisabilité et la viabilité d’un tel projet, qui s’inscrit dans un contexte politique particulier. Le principal problème de cette modernisation est la question de la maintenance de ces nouveaux matériels. En effet en plus du coût des achats, le maintien en états des divers engins entraîne un scepticisme sur la réussite du projet, la maintenance d’un nouveau parc de plus d’un millier de chars de combat étant un poids économique supplémentaire important. En plus du maintien des véhicules, il faut aussi prendre en compte le coût de formations des individus, en vue de l’augmentation de 50% des forces armées polonaises.

Ces critiques se portent également sur le gouvernement en place accusé de porter une promesse politique plus qu’un projet véritablement viable. Depuis 2015, le parti conservateur droit et justice (PiS) porte des valeurs nationales et conservatrices, qui s’adaptent donc parfaitement à la volonté d’indépendance militaire qui permet le sentiment nationaliste, particulièrement en période ou un conflit direct est envisagée. Les achats de grande ampleur de juillet 2022 ont donc été pointés du doigt comme étant un moyen d’influencer l’opinion publique pour les élections législatives de 2023 (élections remportées par le gouvernement).

Conclusion

Fin 2022, les premiers chars étaient livrés par la Corée, preuve que malgré les critiques, cette modernisation est bien en marche et qu’elle se fait de façon rapide.

 Si la Pologne poursuit cette forte augmentation, elle pourrait bien devenir la première puissance militaire européenne, dépassant ainsi les puissances classiques du continent.

Article par Riff paul

 

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