Quel rôle pour l’Ouganda dans la récente insurrection du M23 dans l’est de la RDC ?

Face à la progression du M23 vers la zone d’influence ougandaise dans l’est de la RDC, Kampala oscille entre crainte et rapprochement avec le M23.

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Rappelons dans un premier temps que la résurgence du Mouvement du 23 mars s’est faite à la suite d’une « violation » de la zone d’influence rwandaise dans l’est de la RDC.

En 2020, en pleine tensions avec Kigali, Kampala a débuté la construction d’une route entre Goma et Bunagana.

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Chacun des deux Etats entretient ainsi une zone d’influence dans l’est de la RDC.

Soutien à des groupes armés locaux, exploitation des minerais, opérations militaires (contre les FDLR et les ADF), les deux pays sont largement présents.

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L’Ouganda a déjà été épinglé par le groupe d’expert des Nations Unies pour, sinon son soutien, au moins sa complicité face au retour du M23. Le groupe a ainsi pu trouver une base arrière sûre en Ouganda après 2013 permettant son retour entre 2017 et 2021. 

La résurgence de 2021 est poussée par Kigali, qui voit d’un mauvais œil la prédation ougandaise dans sa zone d’influence. Kampala empêche dans un premier temps la prise de Bunagana, mais se retire lors de la deuxième tentative en 2022. Depuis, l’Ouganda n’a cessé de soutenir discrètement le M23. Lors de la mission de l’EAC à Bunagana et Rutshuru en 2023, puis en permettant au groupe de traverser son territoire, de recruter dans ses camps de réfugiés et de pouvoir séjourner à Kampala, la capitale. 

Pour comprendre la relation entre le M23 et l’Ouganda, il faut comprendre plus largement la relation entre le Rwanda et l’Ouganda, dont les intérêts sont proches mais divergent souvent.

Revenons donc aux années 1990.

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Museveni fait le pari du FPR de Kagame, qu’il héberge et arme, lançant de nombreuses offensives contre l’armée rwandaise. Lors du déclenchement du génocide en 1994, le FPR lance une vaste offensive et est propulsé à la tête du pays. C’est donc une victoire pour l’Ouganda. Kampala et son « Junior Partener » vont ensuite faire marche commune lors de la première guerre du Congo. Mais durant la seconde, chacun soutien son propre groupe armé, le RCD pour le Rwanda et le MLC pour l’Ouganda et les intérêts divergent vite. Les deux armés vont même s’affronter lors de la guerre des 6 jours à Kisangani, au centre du Congo, faisant plus de 1 000 morts. Depuis, la relation s’est dégradée, entre soupçons de coups d’états et d’ingérences, la frontière bilatérale a même été fermée en 2019.

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A l’initiative de la présidence congolaise, les deux présidents se réconcilient en 2022… On notera que la même année, la rébellion du M23 lance une vaste offensive et prend une partie de la frontière Ougandaise.

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Depuis, la relations bilatérale s’est largement améliorée, notamment parce que le Rwanda est dans une période de tensions avec son voisin du sud, le Burundi, qui lui, a fait le choix de soutenir Kinshasa. L’Ouganda et le Rwanda travaillent désormais vers un chemin commun. Ainsi, le dernier communiqué de l’armée ougandaise sur la situation à Goma illustre ce double jeu ougandais, tout en finesse.

La « Forward Defensive Posture » vise autant le M23 contre une progression vers le nord, les alliés des FARDC (les groupes wazalendo) et les ADF.

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Ainsi, l’armée ougandaise est bien présente en Ituri depuis le début de l’opération Shujaa qui vise à combattre un groupe rebelle ougandais affilié à l’Etat islamique, les ADF.

L’opération Shujaa a pu réduire la présence des djihadistes, mais ceux-ci se sont déplacés. Depuis juin 2024, plus de 650 personnes ont été tuées par des attentats des ADF dans l’est du Congo. Les FARDC, mobilisées contre le M23, sont obligés d’engager des supplétifs wazalendo sur le terrain.

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D’après l’ONU, il y a eu des contacts entre le M23 et les ADF, à mesure que le premier progressait vers le Nord, dans le territoire de Lubero.

Le M23 a contacté l’ensemble des groupes armés sur les territoires qu’il attaquait pour les rallier à sa cause.

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Ces propos ont été démentis par le M23 et les ADF eux-mêmes. D’après eux, les prises de contact visaient à négocier l’accès aux territoires où opèrent les ADF, ce qui semble plus logique, compte tenu de l’hostilité du M23 envers ces djihadistes. Cette année, l’opération Shujaa s’est étendue vers le sud et l’ouest, en profondeur dans le territoire congolais. La présence Ougandaise autour de Beni et Butembo coïncide ainsi avec l’avancée du M23 vers le nord du Nord-Kivu. 

L’opération Shujaa de l’armée Ougandaise contre les ADF est à mettre en parallèle avec l’opération avec la présence des forces spéciales rwandaises au Nord-Kivu, aux côtés du M23, contre les FDLR. Pourtant, si les deux pays ont un objectifs communs, ils cherchent tout deux à protéger leur zone d’influence. 

En Ituri, un autre groupe armé, dit « d’autodéfense » le groupe « Zaïre-ADCVI » s’est allié avec le M23 depuis cet été. Le groupe a formé des milliers de combattants en Ituri, à Tshanzu (camp d’entrainement du M23) et en Ouganda et se prépare à attaquer les FARDC.

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« Les personnes formées à Bini (en Ituri) ont dit que la plupart des formateurs étaient d’ex-combattants de l’UPC. Ils ont également mentionné la rotation d’instructeurs militaires en provenance de l’Ouganda et du Rwanda ». Les leaders du M23 et du groupe Zaïre, ainsi que des milliers de combattants ont séjourné et transité en Ouganda avant de revenir en Ituri.

Même s’il a démenti, l’Ouganda sert d’intermédiaire entre le M23 et une multitude de groupes armés d’Ituri désormais alliés au M23. Si la crainte d’une offensive du M23 au Sud-Kivu est bien présente, c’est bien vers l’Ituri qu’il va falloir observer. Des milliers de combattants attendent 2 choses pour rejoindre la rébellion : que le M23 progresse dans le Lubero et que l’armée OUG🇺🇬 maintienne le statut-quo.

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La balle est donc dans le camp de Kampala, qui n’a surement pas été indifférente au pillage de son ambassade et aux propos dénonciateurs contre la complicité supposée de l’Ouganda dans la prise de Goma. Ce n’est pas parce que l’Ouganda se fait plus discret qu’il est moins actif.


Si l’offensive du M23 sur Goma a révélé aux yeux du monde une complicité avérée du Rwanda, il ne faudrait pas oublier que l’Ouganda (et le Burundi aussi, mais c’est un autre sujet), sont engagé dans l’est de la RDC.

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Clément Molin

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