Guerre en Ukraine – Chapitre 2 : Retournement de situation

La présente série d’articles est dédiée à une analyse stratégique du conflit ukrainien, afin de synthétiser aussi clairement que possible les grandes dynamiques de la guerre telles que nous les percevons. Cependant, il y aurait tellement de choses à dire sur telle ou telle bataille que nous pourrions consacrer un ouvrage complet à chacune d’entre elles. Dans la mesure où il ne s’agit nullement de notre intention, nous survolerons un certain nombre d’évènements que nous estimons assez bien connus du public afin de nous concentrer sur des points qui nous paraissent plus pertinents pour qui veut comprendre les évolutions de la situation au cours des trois dernières années.
Nous avons délibérément choisi de ne pas aborder ici les considérations économiques, légales ou diplomatiques relatives à cette guerre, parce qu’un juste traitement de ces considérations pourrait, à lui seul, également occuper plusieurs volumes. De toute manière, une telle histoire ne pourra probablement être écrite que lorsque nous disposerons de documents actuellement considérés comme confidentiels. La description des grandes dynamiques militaires, en revanche, paraît être beaucoup plus à notre portée. Beaucoup de bêtises ont cependant été écrites dans la tourmente de la guerre sur ces questions, aussi espérons-nous apporter un regard nouveau et surtout aussi précis que possible par l’emploi de sources fiables, mais généralement peu commentées.


Comme nous l’avons vu, la première phase du conflit s’était conclue par un retrait des troupes russes des environs de Kiev et des grandes villes du nord du pays. Le triomphalisme qui se fit alors jour chez les commentateurs occidentaux les empêcha toutefois de voir les choses du point de vue de la Russie. Vu du Kremlin, la situation avait certes pris une tournure moins favorable qu’espérée, mais elle était encore loin d’être catastrophique. L’armée russe tenait toujours tout le sud ukrainien (Marioupol venait de tomber), les opérations du Donbass commençaient à donner des résultats appréciables, et il était désormais clair que les sanctions occidentales ne seraient pas du tout aussi désastreuses qu’escompté [1]. Les négociations avaient échoué, mais le Kremlin espérait manifestement que mette Kiev devant la perspective d’une guerre longue l’apeurerait au regard du différentiel démographique et de la destruction inimaginable qu’une guerre d’attrition imposerait à l’Ukraine, laquelle pourrait fort bien ne jamais s’en relever. Il s’agissait évidemment d’une illusion, car les Ukrainiens avaient été enhardis par leur résistance initiale : Zelensky signera d’ailleurs en octobre 2022 un décret rendant illégale toute négociation avec la Russie tant que Vladimir Poutine en serait président.

Dans ces conditions, la lutte ne pouvait que se poursuivre. Moscou concentra donc ses moyens dans le Donbass afin de capitaliser sur la prise d’un des points fortifiés les plus « durs » du front, Popasna, qui était tombée en Avril et ouvrait la voie à des possibilités d’encerclement de plusieurs forteresses ukrainiennes. Etant dans l’incapacité d’employer son aviation du fait de la densité très importante de batteries sol-air, l’assaillant dût s’appuyer son artillerie pour écraser son adversaire. Cela tombait bien, car l’artillerie était précisément la spécialité de l’armée russe : les articles de presse de l’époque font d’ailleurs état de l’avantage massif dont elle disposait par rapport aux défenseurs. L’institut RUSI estimait que l’on atteignait 20 000 obus tirés par jour côté russe, pour près de cinq fois moins chez leurs adversaires. A l’époque, les drones n’étaient pas encore aussi omniprésents qu’ils le devinrent par la suite, ce qui permit aux Russes de concentrer leur puissance de feu : plusieurs vidéos de cette période montrent les deux belligérants aligner leurs canons comme sur un champ de parade sans manifester beaucoup d’inquiétude quant aux questions de contre-batterie.

Map of Luhansk

Les avancées qui en résultèrent, sans être spectaculaires, furent toutefois appréciables : en mai et juin 2022, les cités jumelles de Sievierodonetsk et Lyssychantsk, deux des plus grandes villes du Donbass encore sous contrôle ukrainien, furent capturées par l’occupant après que la garnison fût prise dans une série de zones d’abattage d’artillerie. De manière générale, la fin du printemps et le début de l’été fut une période où les Ukrainiens furent placés sur la défensive et où l’armée russe engrangea des succès notables sur un front qu’elle considérait comme prioritaire. Cela permit manifestement au Kremlin de se bercer d’un faux sentiment de sécurité et de refuser systématiquement aux militaires toute promesse politiquement incertaine, c’est-à-dire une mobilisation de réservistes civils afin d’étoffer les rangs des unités au combat. Cette situation posait bien évidemment un problème de taille à l’état-major de Moscou : les ressources disponibles par l’armée russe en Ukraine continueraient de s’épuiser, tandis que celles de son adversaire, bien qu’amochées, bénéficieraient d’une infusion de sang neuf et de nouveaux matériels qui lui donneront l’avantage du nombre et, dans des sections localisées du front, celui de la qualité. Pour l’heure, les avancées russes dans le Donbass et l’apparente tranquillité des fronts de Kherson et Kharkiv purent donner l’illusion que l’occupant, sans reprendre complètement sa guerre en main, parvenait au moins à garder l’initiative et la supériorité tactique. Or, si la ligne de front avait certes été raccourcie par le désengagement des fronts du nord, la « solidification » de cette dernière rendit apparente les « trous » du dispositif russe.

Or, la décision de se retirer de Kyiv et des villes du nord de l’Ukraine, bien qu’elle fût indéniablement logique pour mieux allouer ses ressources au Donbass, bénéficia également aux Ukrainiens : le redéploiement des troupes russes permit aux défenseurs de réorganiser leurs forces en toute tranquillité. Sachant désormais que la capitale comme les grandes villes du nord-est étaient hors de danger (ce qui fut sans doute confirmé par les observations satellites américaines), l’absorption de la première vague de mobilisation ukrainienne put être réalisée à l’arrière sans s’inquiéter de devoir défendre dans l’urgence de nouveaux théâtres d’opération : il suffirait de contenir les Russes dans les parties actives du front (le Donbass, Kharkov et Kherson) afin d’éviter une percée. Ce faisant, le contingent ukrainien dans le Donbass devrait souffrir le martyre l’espace de quelques mois afin de gagner du temps pour générer des unités capables de partir à l’assaut [2]. Ceci explique pourquoi les Ukrainiens s’accrochèrent à des positions apparemment désespérées, telles que les villes de Lysychansk et Severodonestk lorsque celles-ci furent quasiment transformées en champ de tir par l’artillerie russe. De toute manière, chaque mètre carré abandonné à l’occupant aurait à être reconquis au prix fort par la suite : dans ces conditions, quitte à perdre des hommes en nombre, autant que ce fût pour ralentir les Russes et les frustrer de leurs objectifs politiques.

Why Ukraine struggles to combat Russia's artillery superiority

Une fois ce groupement de brigades mobiles constitué, il restait à choisir où exactement l’employer au maximum de son efficacité. Deux cibles évidentes ne tardèrent pas à se faire jour.

Catastrophe à Kharkiv

Contrairement aux autres pointes qu’avait effectuée l’armée russe au nord-est de l’Ukraine pour encercler des villes importantes (Kiev, Tchernihiv et Soumy), l’oblast de Kharkov continua à être occupé par les troupes du Kremlin. Celles-ci s’étaient retirées des abords immédiats de la ville, qu’ils ne pouvaient plus espérer occuper faute de moyens, mais elles s’étaient maintenues dans toute la partie orientale de la province. Il y avait plusieurs raisons à un tel état de fait : premièrement, cette zone-tampon permettait de sécuriser les approches de l’oblast de Lugansk en rejetant la ligne de front de plus de 100 kilomètres à l’ouest. Ensuite, il s’agissait de maintenir une pression sur Kharkov, de sorte à contraindre les Ukrainiens d’y déployer de nombreuses ressources et décourager les défenseurs de trop se reposer sur ce centre industriel pour leur production d’armement. Enfin, la prise de la ville d’Izioum donnait à l’occupant l’espoir de couper les voies logistiques du groupement ukrainien dans le Donbass, notamment en poussant vers le sud pour encercler Slaviansk et Kramatorsk.

Seulement, la densité de troupes russes sur l’ensemble du front était devenue de plus en plus faible, et ce surtout alors que les besoins de l’offensive du Donbass et de la défense de Kherson aspiraient les quelques réserves dont Moscou disposait encore. Pour ne rien arranger, un nombre relativement important de militaires n’avaient pas renouvelé leur contrat d’engagement une fois la guerre déclenchée : la presse occidentale de l’époque avait d’ailleurs recueilli le témoignage de certains d’entre eux, qui déclaraient que l’absence d’état de guerre privait le Kremlin de toute base légale pour prendre des mesures disciplinaires contre ceux qui ne voulaient pas se réengager pour se battre en Ukraine. Il est difficile de savoir exactement combien d’individus cela représentait, mais des estimations privées que nous estimons assez crédibles portent ce chiffre à 5000 ou 10 000 hommes sur l’année 2022. Combiné à la défense tenace de Ukrainiens autour de Kharkov, qualifier le groupement russe situé dans la région de « squelettique » ne constituait certainement pas une hyperbole. Cela s’était déjà ressenti lors de l’échec russe à vraiment exploiter la conquête d’Izioum à partir de la fin du printemps, mais c’était de plus en plus criant au fur et à mesure que les escarmouches constantes sur ce théâtre d’opération semblaient tourner au désavantage de l’occupant. Nombreux étaient d’ailleurs les commentateurs militaires russophones qui se plaignaient de la situation depuis des mois. La négligence des commandants de théâtre locaux, qui devaient penser que leurs adversaires abdiqueraient perpétuellement l’initiative, fit le reste.

En parallèle, les lourdes difficultés rencontrées par les Ukrainiens dans leurs tentatives de reprendre Kherson et Zaporozhia les incitèrent à réfléchir à d’autres cibles plus alléchantes, et une série de reconnaissances leur confirmèrent que la voie était pour ainsi dire libre. A partir des derniers jours d’août, s’opéra une concentration de moyens dans les très nombreuses forêts environnantes, lesquelles permirent à Kyiv de dissimuler ses soldats sans que la surveillance satellite ou par drone de leur adversaire ne leur permette de les détecter. Le plan, au fond, était assez simple : foncer en ligne droite le plus loin possible, se faufiler dans les interstices du dispositif russe afin de le disloquer, et occuper les routes et points de passages pour encercler ces dernières. L’opération, lancée début septembre, était pour le moins audacieuse : les moyens que Kiev était parvenu à rassembler étaient, de l’aveu même des soldats qui y prirent part, fort peu préparée à une lutte prolongée. Un commandant évoquait que les Ukrainiens disposaient d’assez d’obus pour une ou deux semaines d’usage à haute intensité. Mais la percée eut bien lieu, et l’armée de Kiev enfonça profondément les lignes de son adversaire.

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Les Russes ne tardèrent pas à se rendre compte du danger qui pesait sur eux. La majorité des unités constituées évacuèrent le plus vite possible, quitte à abandonner sans trop de scrupules leur matériel lourd, comme le montrent amplement les vidéos de l’époque. Une fois arrivées à la frontière de l’oblast de Lugansk, cependant, les troupes de Moscou purent former une ligne à peu près cohérente, aidées en cela par la résistance acharnée de la garnison de Lyman, ville sur laquelle les Ukrainiens se cassèrent les dents pendant près de deux semaines avant que les Russes ne l’évacuent pour éviter un encerclement. A partir de là, les choses se corsèrent considérablement pour l’armée de Kyiv, qui perdit graduellement la supériorité numérique dont elle avait bénéficié. Il faut dire que les Russes étaient bien décidés à ne pas laisser leurs adversaires dépasser la ligne Svatovo-Kremnaya, laquelle gardait l’accès à l’un des rares réseaux routiers dans le nord du Donbass : laisser les Ukrainiens s’en emparer serait revenu à abandonner un bon tiers de cette région politiquement cruciale aux autorités de Kiev. Il y eut bien quelques moments tendus où ces nouvelles lignes de front parurent sur le point de céder, mais l’offensive ukrainienne finit par mourir à la frontière de Lugansk quelque part au milieu du mois de décembre.

On abandonne Kherson

Lorsque l’état-major ukrainien tenta de regagner l’initiative dans la seconde moitié de l’année 2022, il se pencha rapidement sur la question de la tête de pont russe sur la rive droite du Dniepr. Tenter de l’éliminer constituait pour Kyiv un choix tentant : ses adversaires y étaient en infériorité numérique, ne disposaient d’aucune profondeur stratégique dans laquelle reculer (étant dos au fleuve), et n’étaient ravitaillés que par deux ponts dont l’accès pouvait aisément être interdit par des frappes d’artillerie. A vrai dire, le sort de cette enclave de Kherson était déjà scellé depuis plusieurs mois : l’échec russe devant Nikolaev les avait empêchés de repousser les lignes de front de manière à mettre ces deux ponts au-delà de la portée de l’artillerie de précision ukrainienne, et en particulier des lance-roquettes HIMARS américains qui commençaient alors à affluer sur le champ de bataille. Il semble bien que l’état-major russe n’ait décidé de s’accrocher à Kherson que pour des raisons politiques, car il était clair que la logistique des 25 000 à 30 000 soldats présents risquait l’asphyxie à plus ou moins brève échéance, les barges militaires ne pouvant transporter les volumes nécessaires au maintien au combat de cette force.

Grâce à la faiblesse numérique des Russes, les Ukrainiens parvinrent fin juillet à repérer des gués exploitables le long de la rivière Ingulets. Profitant de la faible densité des troupes adverses et de la couverture de leur artillerie de précision, ils purent établir des têtes de pont à différents endroits sans que les Russes ne contestent la traversée. Les quelques défenseurs présents dans la zone furent contraints de battre en retraite pour éviter l’encerclement ou la destruction. Pour gagner du temps afin de recréer une ligne de défense, les occupants déployèrent de nombreuses mines et firent appel à leurs hélicoptères d’attaque KA-52 ainsi qu’à leur aviation pour frapper les unités ukrainiennes engagées dans la brèche. Les Ukrainiens, privés de la moindre couverture dans ce terrain plat et dégagé, furent considérablement ralentis et subirent de très lourdes pertes, ce qui permet aux défenseurs de concéder graduellement du terrain sans autoriser de percée. Quelques renforts permirent aux Russes de stabiliser la situation fin septembre et même de mener quelques contre-attaques ponctuelles pour améliorer leur position. Si l’on en croit les vidéos de destruction de colonnes mécanisées ukrainiennes (très exposées dans ces plaines et ralenties par les champs de mine), les pertes au sein de l’armée de Kiev furent considérables.

Cela ne résolvait toutefois pas le problème de fond pour les Russes, à savoir que leur logistique était particulièrement exposée aux frappes de haute précision des HIMARS, tandis qu’ils étaient eux-mêmes incapables de détruire les pontons jetés le long de l’Ingulets. Les combats avaient laissé plusieurs unités russes bien amochées dans la partie orientale de la poche, de telle sorte que les Ukrainiens parvinrent à nouveau à identifier les faiblesses du dispositif ennemi. Une nouvelle infiltration réussie aboutit à une retraite précipitée d’environ un quart de la poche de Kherson par l’occupant afin d’éviter un effondrement de ses lignes. Si les assaillants furent à nouveau contraints à l’arrêt par la défense acharnée de leurs ennemis, ce ne fut toutefois que partie remise : les déclarations de l’époque laissaient penser que, après leurs succès à Kharkov, les Ukrainiens s’apprêtaient à concentrer autant de moyens que nécessaire afin de liquider une fois pour toutes la tête de pont de Kherson.

Dans ces conditions, il semble que l’état-major russe soit enfin parvenu à convaincre Vladimir Poutine de la nécessiter d’évacuer la zone au plus vite. Surprenamment, les préparatifs de cette opération ne semblent pas avoir été détectés ni par les Américains, ni par les Ukrainiens, qui avoueront par la suite avoir cru que les Russes leur tendaient un piège. En quelques heures, tout était fini : les quelques 20 000 occupants avaient repassé le Dniepr début novembre sans être interceptés, dynamitant pour de bon tous les ponts menant à l’autre rive. La ville repassa aux mains des troupes de Kiev, elles-mêmes surprises de ce dénouement quelque peu abrupt.

La victoire incomplète

Le 9 novembre 2022, les Ukrainiens avaient donc repris à la fois Kherson et l’oblast de Kharkov. Il s’agissait de belles victoires, mais l’armée de Kiev avait échoué à les transformer en points de bascule stratégiques. D’un point de vue opérationnel, l’évacuation de Kherson était une excellente nouvelle pour Moscou : non seulement un fort contingent de troupes de bonne qualité s’était retiré avec presque tout son matériel, mais en plus la présence du Dniepr en tant que barrière naturelle interdisait aux Ukrainiens toute poursuite. Cette réduction de la ligne de front permit une notable augmentation de la densité moyenne de soldats russes par kilomètres carré dans les territoires occupés.

La retraite de Kharkiv eut le même effet, bien que les circonstances dans lesquelles elle se produisit furent beaucoup moins enviable : outre les quantités importantes de matériel saisies, les Ukrainiens furent bien près de débouler sur les arrières russes dans le nord du Donbass. Mais la ligne Svatovo-Kremnaya parvint à tenir, garantissant que les gains Ukrainiens ne menaceront pas les buts de guerre les plus cruciaux de la Russie. Au fond, à cause de la faiblesse numérique de l’armée russe, Kharkiv n’avait jamais constitué qu’une distraction futile : s’y maintenir remplissait un objectif ayant plus à voir avec le prestige et les considérations politiques périphériques que tout plan militaire vraiment réaliste. En contraignant l’armée du Kremlin à tourner les talons ignominieusement, les Ukrainiens mettaient certes hors de danger la troisième ville du pays ainsi que leur flanc nord, mais ils forçaient également les Russes à se recentrer sur leurs priorités immédiates et à clarifier leurs buts de guerre, à savoir : sécuriser le pont terrestre vers la Crimée ainsi que les deux oblasts de Lugansk et Donetsk.

De nombreux commentateurs se demanderont par la suite pourquoi l’Ukraine ne poursuivit alors pas sur sa lancée victorieuse pour en finir une fois pour toute avec la Russie, qui avait perdu au moins 18 000 tués en 2022 si l’on en croit le site https://200.zona.media. La vérité est que les troupes de Kiev étaient elles-mêmes alors en bien mauvais état. L’état-major ukrainien finira par admettre au think-tank britannique RUSI que l’année 2022 coûta 30 000 tués et disparus à l’armée ukrainienne, sans compter les blessés graves et les prisonniers [3] ; au total, l’on peut raisonnablement estimer les pertes de long-terme à 50 000. Ce n’étaient pas non plus des unités de seconde zone qui avaient subi le plus lourd des combats : les brigades prétoriennes à Kiev, les troupes de marine à Marioupol, le meilleur des unités offensives à Kherson, ainsi que toutes les unités gardant le Donbass représentaient sans doute la majorité. Une part significative du reste sera bientôt absorbée dans le sanglant vortex de Bakhmut, comme nous le verrons dans la prochaine partie. Pour mener à bien une offensive susceptible de chasser les Russes de tous les territoires occupés, il n’était tout simplement pas possible de faire autrement que de mettre sur pied une nouvelle armée flambant neuve ; et ce d’autant plus que Vladimir Poutine venait tout juste de décréter la mobilisation partielle de 300 000 réservistes, marquant un terme définitif à la période d’indécision et de flottement qui s’était faite jour au sommet en Russie depuis l’échec de l’opération sur Kiev. Après ces dix mois d’enfer, les deux belligérants se devaient de reconstituer leurs forces et de deviser de nouveaux plans pour l’année suivante, et c’est à quoi fut employé l’hiver 2022. Nous verrons comment ils furent mis à profit.




[1] L’économiste français Jacques Sapir, très bien introduit dans le monde des économistes russes, et ce y compris parmi les plus proches du Kremlin, disait que la panique initiale affichée par ces derniers à l’annonce des sanctions occidentales avait entièrement disparu en mai 2022.

[2] Le président Zelensky déclarera en juin 2022 que 50 à 100 soldats ukrainiens étaient tués quotidiennement sur le front du Donbass. L’ancien négociateur en chef de l’Ukraine, David Arakhamian, multipliait ces nombres par cinq.

[3] Fait intéressant : le site ualosses.org trouvera 19 500 tués pour l’année 2022.

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