Après 54 ans à la tête de la Syrie, le règne de la dynastie Al Assad prend fin.En l’espace de 12 jours, l’équilibre du Moyen-Orient a basculé. Retour sur les enjeux, les rivalités de puissances et sur ces 12 jours historiques.
C’est donc la fin d’un demi-siècle de règne du clan Assad, qui avait paru inébranlable, et qui avait pris toutes les mesures sécuritaires et politiques pour survivre aux heures les plus sombres contre vents et marées.
Mais il y a des semaines où des décennies se produisent.
La première phase de la guerre (2011-15) avait été essentiellement tirée par des facteurs syriens, là où la seconde (2016-20) fut imposée par des accords entre grandes puissances.
C’est finalement un retour des dynamiques locales : Assad est tombé par la pourriture de son régime.
Avec lui, il emporte définitivement les intérêts géostratégiques russes en Méditerranée. La Russie ne pouvait pas sauver un régime dont même les haut-gradés étaient prêts à se rendre.Moscou perdra son seul allié loyal de longue date en dehors de l’espace soviétique…
…ainsi que sa seule base navale en mer chaudes. C’est un camouflet pour le Kremlin, qui avait présenté la Syrie comme le modèle des interventions « à la russe », qui se résolvaient vite au lieu de s’embourber comme les aventures occidentales.
C’était également un moyen de revenir dans le jeu diplomatique de la région, en se posant comme interlocuteur incontournable de toute négociation au Moyen-Orient.
Bref, un symbole de la stature mondiale de la Russie. Il faudra désormais renoncer à de telles ambitions.
La défaite de l’Iran est quant à elle beaucoup plus profonde.
Depuis la mort de Khomeiny, la République Islamique a fait de la Palestine la question centrale de la vie du pays, la justification de tous les sacrifices. Maintenant que la Syrie est tombée, que le Hamas…
…est aussi meurtri, que le Hezbollah est dans une situation aussi précaire, il semble bien que l’Iran n’ait plus aucun moyen crédible de menacer Israël.Le coup porté à l’idéologie du pouvoir est très rude. Il va lui falloir se réinventer, sans quoi son avenir sera sombre.
D’autres questions demeurent toutefois en suspens. Les promesses de tolérance envers les minorités seront-elles respectées ?Quarante ans de tyrannie sécuritaire menée par les alaouites, ainsi que quinze ans de guerre, ont causé beaucoup de mauvais sang et de haines.
Peut-être Joulani entend-il respecter sa promesse, mais qui dit que ses hommes, les citoyens syriens ou même d’anciens djihadistes ne chercheront pas à se venger ?
Rappelons que l’Etat Islamique opère toujours dans l’est syrien, et qu’il n’a fait aucune promesse.
Joulani possèdera-t-il assez d’hommes de confiance pour empêcher le genre d’attentats et de massacres qui ont fleuri à la chute de Saddam Hussein ?Le renseignement anti-terroriste demande beaucoup de moyens humains et techniques. Les possède-t-il ?
De manière plus générale, Joulani possède-t-il le moyen de faire reconnaître son autorité sur le territoire fracturé de la Syrie ?
A-t-il suffisamment d’hommes de confiance pour se faire obéir à Daraa ou en Syrie orientale ? Ne va-t-on pas vers une désagrégation de l’Etat ?
La Syrie est un pays avec peu de ressources naturelles et de terres arables, comparées à sa population.Elle ne sera probablement pas autosuffisante et n’aura sans doute pas les fonds pour se reconstruire elle-même. Les monarchies du Golfe pourront-elles s’en charger ?
Un pays bénéficiera clairement de la situation : la Turquie, qui pourra enfin rapatrier les millions de réfugiés syriens présents sur son territoire, et qui pourra faire de son voisin méridional un quasi-protectorat du fait du différentiel de puissance économique.
Sans parler, bien sûr, de la question Kurde. Maintenant que les Russes sont partis, plus rien ne s’oppose à une offensive pour détruire le PYD (branche syrienne du PKK).
Elle aura sans doute lieu, car Joulani ne cherchera probablement à négocier avec eux plutôt qu’à les éliminer.
La chute du clan Assad marquera l’histoire par les changements stratégiques majeurs qu’elle déverrouille dans toute la région.Reste à voir si ces changements seront porteurs d’espoir, où s’ils entraîneront le Moyen-Orient dans la nuit comme l’avait fait la chute de Saddam Hussein.
Que s’est-il passé en 12 jours pour que la chute d’Assad, repoussée depuis 14 ans ne se déroule si vite ?Nous espérons avoir été à la hauteur de l’évènement qui bouleversera les équilibres au Moyen-Orient, dès le 1er jour et sur le compte de Clément.
Notre suivi de la situation durant les 4 premiers jours de l’offensive d’HTS sur Alep était presque exclusif, face au retard des médias traditionnels.
En 4 jours, les rebelles islamistes d’HTS se sont emparés d’Alep, deuxième ville du pays et sont entrés dans Hama (4ème ville du pays), avant d’en être repoussés.Ils ont réussi dès le premier jour à percer les premières lignes et désorganiser l’arrière de l’armée.
Du jour 4 au jour 7 de cette offensive a eu lieu une période de flottement, avec les renforts de l’AAS à Hama, l’entrée en action de l’ANS pro turque contre les Kurdes YPG à Tal Rifaat et Kuweires et l’arrivée des renforts d’HTS sur le front d’Hama.
Tout s’est accéléré les 8ème et 9èmes jours de l’offensive avec l’entrée d’HTS dans Hama et la progression assez rapide le soir du 9ème jour sur Homs, 3ème ville du pays.C’est là qu’a débuté la réaction en chaine. Le sud s’est soulevé (Daraa et Soueïda) et s’est « auto-libéré ».
Au 10ème jour de l’offensive d’HTS, les autres rebelles le conseil militaire du sud et la nouvelle armée syrienne d’Al Tanf ont rejoins les combats.Au 11ème jour des combats, tous ont convergés vers Damas, qui s’est elle aussi soulevée.
Au soir du 11ème et le 12ème jour d’offensive, Homs, Damas et la majorité du pays est tombée. Des manifestations spontanées de joies ont éclaté partout et Bachar Al Assad a fui le pays.Une nouvelle administration de transition s’installe désormais.
Désormais, des combats sont en cours à plusieurs endroits du front contre les Kurdes, une offensive Turco-Syrienne n’est pas à exclure.Israël a bombardé les dépôts de munitions de l’armée et progressé dans le Golan pour agrandir une « zone tampon ».Moscou a officiellement quitté le territoire Syrien et les rebelles débutent la création d’un nouvel état syrien.
Julien Lazzarotto et Clément Molin