Pour mieux comprendre les enjeux qui entourent la candidature à l’UE de ce petit pays d’Europe de l’Est, rien de mieux que d’interviewer l’ambassadrice de la République de Moldavie en France, Corina Călugăru qui a accepté de nous accorder un entretien. Nous nous rencontrons le mardi 11 juin 2024 à l’ambassade de la République de Moldavie à Paris.
La Moldavie en quête d'accession européenne
Naturellement, deux jours après les élections européennes, la première question porte sur le regard moldave vis-à-vis de ces élections alors que le pays est candidat officiel à l’adhésion. La Moldavie, c’est ce petit pays d’Europe de l’est qui se situe entre la Roumanie et l’Ukraine. Indépendant depuis 1990 de l’URSS, il souhaite désormais intégrer l’Union Européenne. D’après l’ambassadrice ces élections européennes ont été largement suivie en Moldavie où elles ont contrarié l’opinion qui souhaite un jour elle aussi pouvoir élire des députés à Strasbourg. Ainsi elle explique qu’une grande différence se fait ressentir entre la population des États membres et celle des États non membres dans la vision qu’ils portent envers les élections européennes.
Pour comprendre le chemin moldave vers l’Union Européenne, il faut remonter en février 2022 lorsque l’armée russe envahit l’Ukraine. La présidente du pays, Maia Sandu dépose la candidature de son pays pour rejoindre l’UE. Dans l’urgence, la Commission Européenne accorde le statut de candidat à Chisinau (capitale de Moldavie et siège des institutions). Mais la relation entre l’Union européenne et la Moldavie ne se caractérise pas uniquement par cette candidature de 2022. En 2014 un accord compréhensif avait déjà été signé entre l’Union européenne et la Moldavie. Cet accord portait notamment sur la libéralisation du régime des visas permettant aux citoyens moldaves de circuler plus facilement en Europe. En 2016, un accord d’association entre l’UE et la Moldavie prévoit une zone de libre échange approfondie. Mais aujourd’hui, la guerre limite toute intégration plus poussée. Le rapprochement avec l’Union européenne et l’éventuelle adhésion moldave se fera inévitablement après la guerre en Ukraine il y a donc une forte attente et un espoir que celle-ci se termine rapidement comme l’a souligné à plusieurs reprises l’ambassadrice.
A Chisinau En 2024, s’était réuni une autre initiative, le sommet de la Communauté Politique Européenne. Instigué par Emmanuel Macron en 2022, ce sommet doit offrir une instance de discussion entre les pays membres et les pays non membres de l’Union européenne. Parmi ceux-ci nous retrouvons les candidats reconnus (Albanie…), déclarés (Géorgie), ou potentiels (Bosnie) et d’autres pays liés par des accords économiques, Suisse, Norvège, Royaume-Uni…
Ce sommet organisé à seulement 40 km de la ville ukrainienne d’Odessa était une grande réussite pour l’organisation moldave, l’ambassadrice qualifie cette l’initiative de très positive. L’Union européenne a aussi développé des projets d’infrastructures et récemment un accord sur les frais d’itinérance de la téléphonie mobile. Cela peut paraître dérisoire mais c’est une grande avancée vers l’intégration, facilitant la communication, notamment pour les entreprises qui commercent entre l’UE et la Moldavie. Après la victoire du bloc centre-droit du PPE aux élections Européennes, on peut estimer que l’intégration se poursuivra, mais il faudra surveiller la volonté de la Commission et du Conseil Européen à intégrer rapidement ou non la Moldavie.
Le conflit avec la Transnistrie
Lorsque l’on évoque la situation moldave il est impossible de ne pas parler de la république séparatiste de Transnistrie. “Ce conflit n’est pas entre les populations” explique l’ambassadrice. Celui-ci est principalement politique, entre deux entités, la République de Moldavie et l’enclave de Transnistrie. D’un côté les séparatistes soutenus et financés par la Russie qui vivent dans un proto-état soviétique satellisé à Moscou depuis 1992 et de l’autre la République de Moldavie. Contrairement à ce que l’on pourrait penser la relation n’est pas ou plus belliqueuse. Si le format de négociation 5 + 2 pour la paix (Moldavie, République Moldave du Dniestr (Transnistrie), Russie, Ukraine, OSCE (Organisation de sécurité et de Coopération Européenne), et les deux autres, l’UE et les Etats-Unis qui sont observateurs) ne peut pas être conduit du fait de la guerre en Ukraine, le gouvernement moldave espère un règlement pacifique du conflit. Celui-ci date en réalité de 1990, lors de l’indépendance des pays de l’Europe de l’Est et de l’ex-URSS. La République de Moldavie déclare son indépendance, mais de l’autre côté du fleuve Nistro/Dniestr, la 14ème armée soviétique ne rentre pas chez elle, en Russie et appuyée des populations Russes et Ukrainiennes, déclare l’indépendance de la Transnistrie. S’ouvre alors une guerre sanglante de deux ans, ou les deux armées tentent de tenir les villes industrielles de Bender et Tiraspol, la voie de chemin de fer vers les ports Ukrainiens, la centrale hydroélectrique de Dubasari et l’arsenal de Cobasna. C’est un échec pour l’armée Moldave qui ne parvient pas à rétablir sa souveraineté et devient donc dépendante économiquement du territoire séparatiste après le retour au statut quo en 1992.
Il faut savoir que les deux territoires dépendent largement l’un de l’autre: ainsi, 70 % des exportations des entreprises transnistriennes sont destinées à l’Europe, du moment où la Moldavie intégrerait l’Union européenne il est probable que la Transnistrie en ferait également partie sur le même modèle que Chypre. De plus la frontière entre les deux territoires n’est pas une ligne de front mais une ligne administrative, les citoyens moldave peuvent transiter pour rendre visite à leur famille. Pour la Moldavie le territoire reste très important, notamment parce que c’est là que se situe une grande partie de l’industrie lourde du pays le long du fleuve Nistro (aussi connu sous le nom Dniestr en Russe). Si la guerre en Ukraine a tendu les relations, les deux parties espèrent un règlement pacifique de la situation.
Proximité avec la guerre en Ukraine
La capitale de la Moldavie est situé à seulement quelques dizaines de kilomètres de l’Ukraine, la situation dans la région d’Odessa fait ainsi fortement fluctuer la situation en Moldavie. Ainsi nous avons plusieurs sujets: le commerce, les migrations et les bombardements :
1- Pour le commerce il faut savoir que l’Ukraine a besoin d’exporter son blé et ses céréales via les ports roumains et les ports Ukrainiens sur le Nistro (Ismaïl, Reni…) depuis le blocus Russe des ports Ukrainiens. La seule route qui permet de s’y rendre passe cependant par la Moldavie à Palanka dans la pointe sud du pays. La Moldavie laisse volontiers passer les chargements sur cette route cruciale. Cette route est largement utilisé pour le transport d’armement arrivant depuis la Roumanie, même si l’ambassadrice ne l’a pas confirmé. Pour l’Ukraine, ce passage est crucial, l’embouchure du Nistro coupe la région d’Odessa en deux, la Béssarabie Ukrainienne se retrouve facilement isolée, notamment lorsque le seul pont à Zatoka, sur le bord de la mer Noire est régulièrement frappé.
2- Pour les réfugiés, il faut savoir qu’un million d’entre eux ont traversé la frontière moldave au début de la guerre, environ 120 000 sont restés, certains ayant de la famille sur place, en sachant que la première minorité ethnique de Moldavie est composé des Ukrainiens. D’autres sont partis ailleurs en Europe se servant de la Moldavie comme d’une plateforme de traversée. L’ambassadrice assure qu’il y a eu des modifications législatives permettant aux Ukrainiens de trouver un travail. Elle explique que “tous sont bien intégrés”. Par exemple les enfants Ukrainiens peuvent aller dans les écoles moldave tandis que d’autres suivent des cours à distance.
3- Pour les bombardements, l’ambassadrice explique que lorsqu’ils touchent la région d’Odessa, ils sont entendus en Moldavie : il y a ainsi une véritable peur de la guerre sur le territoire moldave. A plusieurs reprises, les missiles Russes ont survolé le pays, en effet, lorsqu’ils sont tirés depuis la mer noire, ceux qui visent les régions d’Ukraine Occidentale, Lviv, Ivano-Frankivsk, Ternopil… passent au dessus du territoire Moldaves. Certains missiles ont même été abattu au dessus du territoire Moldave par l’Ukraine. La population de réfugiés peut donc fluctuer lors des grandes périodes de bombardement de la région d’Odessa, comme durant l’été 2023, lorsqu’un plus grand nombre de réfugiés traverse la frontière puis retourne en Ukraine lorsque la situation se calme.
La langue, facteur de tensions et de rapprochement
Une barrière importante entre la Moldavie et l’Ukraine est la langue. La langue parlée en Moldavie n’est pas le moldave mais bien le roumain une langue latine très différente de la langue slave qu’est l’Ukrainien. Le nom moldave est utilisé pour éviter les tensions, mais au final cela ne désigne qu’un accent. La majorité de la population parle aussi le russe comme une langue d’échange inter-culturel et lorsque les réfugiés Ukrainiens sont arrivés ils ont pu communiquer en russe avec la population moldave les accueillants. Ainsi le russe a de nouveau été utilisé à plusieurs reprises notamment à l’écrit, “en temps normal l’autorisation d’une telle mesure aurait pu créer une véritable guerre civile en Moldavie mais la situation exceptionnelle de la guerre en Ukraine à modifié cette perception” explique l’ambassadrice. Pour les Ukrainiens un programme d’apprentissage du roumain a été mis en place, beaucoup d’entre eux se sont mis à apprendre la langue nationale. Et puis en Moldavie il y a plusieurs groupes ethniques: les Ukrainiens, les Russes, les gagaouzes (langue Turcique), et ceux-ci ne doivent pas être qualifiés comme tel il y a un seul peuple une seule citoyenneté mais pas de « groupes ethniques ».
Le lien avec la Roumanie
La Moldavie est-elle une province roumaine ? Oui bien sûr dans la région orientale roumaine de Iasi, mais c’est également un pays, la République de Moldavie. Autrefois avant l’invasion soviétique de la Bessarabie en 1940 la Moldavie faisait partie de la Roumanie. Les deux pays disposent d’une langue et d’une culture commune par exemple la blouse traditionnelle mais il y a bien deux gouvernements distincts, deux pays distincts. J’ai donc demandé à l’ambassadrice s’il y avait une perspective de rattachement moldave à la Roumanie. Celle-ci m’a répondu qu’il n’y en avait pas dans l’immédiat, les deux pays sont des pays frères, beaucoup de citoyens ont la double nationalité mais il n’y a pas de nécessité immédiate à un rattachement. Ce rattachement se fera lorsque les deux pays seront ensemble dans l’Union Européenne insiste-t-elle, il n’y a pas de nécessité à un rapprochement gouvernemental pour l’instant.
La relation avec la France
La relation entre la Moldavie et la France est très longtemps restée calme, il y avait principalement un lien de francophonie étant donné que le roumain est une langue latine, la Moldavie étant quelque peu francophone et francophile. La première visite d’un président français en Moldavie intervient en 1997 mais c’est surtout le président Macron et la présidente Sandu qui instaurent une nouvelle relation en 2022 et en 2023 avec plusieurs visites des deux côtés.
Les premiers accords économiques ont lieu, puis des accords militaires avec la première visite d’un ministre français des armées, Sébastien Lecornu en septembre 2023 à Chisinau, conduisant lors de la visite de Maia Sandu à Paris le 7 mars 2024 à un premier accord bilatéral et la signature d’une lettre d’intention dans la défense. La Moldavie a par exemple acheté un radar de détection aérienne à Thalès et des munitions dans le cadre du renforcement de l’armée, bien que le pays reste officielement neutre. Des exercices militaires avec la France, la Roumanie et les Etats-Unis ont été conduit ces derniers mois. A Chisinau, on trouve aussi une agence française du développement (AFD), un centre expertise France, une agence française et de nombreuses écoles permettent aux moldaves d’apprendre le français. Depuis quelques années l’ambassade moldave à Paris est devenu la plus dynamique et la plus importante à l’étranger. Ainsi la France est un pays qui compte pour la Moldavie, une part importante de la diaspora d’un million de moldaves réside aussi dans l’hexagone et la langue est un véritable facteur d’échange culturel à consolider pour la suite de la relation bilatérale. L’ambassadrice espère qu’il y aura toujours le même intérêt Français s’il y a des changements dans la politique Française et espère que la dynamique est installée.
Les ingérences et la menace Russe
A plusieurs reprises je suis revenu sur la relation avec la Russie, celle-ci est clairement et ouvertement considérée comme une menace à la souveraineté Moldave. Il y a des preuves qu’il pourrait y avoir des tentatives d’invasion de la Moldavie après l’Ukraine, que ce soit dans les cartes d’invasion Russe ou dans les déclaration du gouvernement. La désinformation russe est aussi très importante notamment dans le cadre des prochaines élections présidentielles qui se tiendront le 20 octobre prochain. Des manifestations ont eu lieu contre le gouvernement, mais il a été découvert que le parti en question, lié à la Russie, organisant ces manifestations contre l’orientation pro-Européenne avait payé les manifestants. Une contre-manifestation pro-Européenne avait réuni plus de 75 000 personnes dans la foulée. La Russie est aussi une menace parce qu’elle dispose toujours de plus de 1 500 soldats -officiellement de « maintien de la paix”- à Tiraspol en Transnistrie. Dans le territoire, le gaz Russe est vendu à un prix bradé, la monnaie est le rouble et les retraites sont payées par Moscou. Dans cette région d’Europe de l’est âgée et pauvre, c’est une aubaine, permettant un large soutien populaire à la Russie. Mais ce qui intéresse avant tout Moscou, c’est l’immense arsenal de Cobasna, un des plus gros dépôt de munitions de l’ex URSS sous le contrôle des forces Russes. Avoir la main sur la République Moldave du Dniestr est aussi un moyen de pression directe contre Chisinau, mais aussi Kiev qui doit garder des effectifs militaires sur cette frontière, l’ambassadrice parle de deux unités Ukrainiennes, il pourrait s’agir d’une brigade de défense territoriale, probablement celle de la région d’Odessa qui est aussi présente sur le front de Kherson. Pour les Moldaves et les Ukrainiens, cette présence Russe est une source d’inquiétude, si le dépôt de munitions venaient à exploser de manière accidentelle ou non, un périmètre de 20 à 40 km serait dévasté.
Le tourisme, avenir économique ?
L’avenir de la Moldavie dans l’Europe repose aussi sur une des richesses du pays: le tourisme. Le pays a mis l’accent sur un tourisme authentique et rustique, notamment autour de la route du vin Moldave. La Moldavie est le pays avec le plus grand nombre de vignobles au mètre carré, 6 cépages sont reconnues mais sont mis sous embargo de la Russie. Les deux plus grandes caves à vin du monde s’y situent également. Ainsi dans le développement touristique, la Moldavie espère pouvoir accueillir le prochain congrès mondial de l’organisation mondiale du vin qui permettra de faire une vitrine sur ce pays méconnu.
Clément Molin