Nucléaire iranien : perspectives d’un dossier toujours structurant
Presque dix ans après la signature de l’accord de Vienne de 2015, la question nucléaire iranienne revient au premier plan des sujets stratégiques et sécuritaires mondiaux, alors que les alertes sur l’intensification du programme nucléaire de la République islamique se multiplient. L’accord de 2015 arrive entièrement à son terme en octobre et la durée d’ « une semaine », dont la signification réelle sera précisée, séparant l’Iran de la bombe est souvent avancée. La profonde restructuration en cours au Moyen-Orient, les dynamiques internes en Iran et le retour de Trump à la Maison-Blanche seront déterminants.
Une progression alarmante : données techniques et repères
« Ils appuient sur l’accélérateur » : la prudence sémantique ordinaire du Directeur Général de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) a laissé place à une préoccupation plus visible en ce début d’année 2025. Rafael Mariano Grossi a en effet annoncé le 22 janvier 2025 que l’Iran accélérait considérablement son programme d’enrichissement d’uranium, passant ainsi à un rythme d’enrichissement (à 60%) de 30 kg par mois au lieu de 7 kg précédemment. Une augmentation de ses capacités d’enrichissement est également attendue avec l’achat de nouvelles centrifugeuses. L’Iran exploite plusieurs milliers de centrifugeuses dans ses installations de Fordo et de Natanz ; certaines estimations en dénombrent plus de 17000, dont 11000 dites « avancées » sur le site de Natanz. L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien ou Joint Comprehensive Plan of Action (JCPoA) signé par l’Iran et les pays du P5+1 (membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies plus l’Allemagne et l’union européenne) le 14 juillet 2015 prévoyait une capacité d’enrichissement limitée à 5600 centrifugeuses de type IR-1 (modèle le moins perfectionné) et un maximum de 64 centrifugeuses avancées, le tout regroupé sur le seul site de Natanz. L’enrichissement de l’uranium consiste à augmenter artificiellement la proportion d’uranium 235, seul isotope fissile naturel de l’uranium, par rapport à l’uranium 238, dont les abondances naturelles sont de respectivement moins de 1% et 99%. L’Iran utilise la méthode la plus couramment utilisée aujourd’hui : la centrifugation gazeuse. Elle consiste à utiliser des centrifugeuses pour exploiter la différence de masse atomique entre l’uranium 235 et l’uranium 238, le tout sous forme gazeuse (hexafluorure d’uranium) afin de permettre la mobilité des particules. L’accord de Vienne de 2015 limitait à 3,67% le taux d’enrichissement de l’uranium, soit un taux permettant une utilisation strictement civile de la matière fissile (production d’électricité). L’accord autorisait l’Iran à posséder un stock total de 300 kg d’hexafluorure d’uranium enrichi au maximum à 3,67%. Les données de l’AIEA datant du 26 octobre 2024 indiquaient cependant que l’Iran disposait à cette date de 6604 tonnes d’uranium enrichi, en constante augmentation. Cette quantité était de 4486 t en août 2023, 5525 t en février 2024 et 5751 t en août 2024, toujours selon les estimations du gendarme mondial de l’atome qui dispose encore de moyens limités pour estimer l’avancée du programme iranien. De plus, une partie importante de cette quantité est enrichie à des taux bien supérieurs à ce qu’autorisait l’accord. Alors que le taux nécessaire à la conception d’une arme (Uranium hautement enrichi, UHE) se situe aux alentours de 90%, les dernières estimations de l’AIEA évoquent environ 200 tonnes à plus de 60% et 1021 tonnes supplémentaires à plus de 20%, ce qui permettrait à l’Iran de produire l’UHE nécessaire à la production de 6 bombes avec son stock à 60% et 3 bombes supplémentaires avec son stock de matière enrichie à plus de 20%. En outre, des traces d’uranium enrichi à un taux de 83,7% avaient été relevées le 28 février 2023 sur le site d’enrichissement de Fordo, site pour lequel l’arrêt complet des activités d’enrichissement était d’ailleurs inscrit dans l’accord de 2015. Bien que l’Iran se défende en évoquant « des fluctuations involontaires » qui seraient responsables de ces taux d’enrichissement exceptionnels, les données disponibles semblent donner raison aux nombreux états qui accusent l’Iran de mener un programme militaire.
Un état de seuil
Depuis les révélations de 2002 sur les activités nucléaires clandestines de l’Iran, et en particulier depuis la fin du respect de ses engagements pris dans le cadre du JCPoA, de nombreuses estimations plus ou moins fiables sur le temps nécessaire à l’Iran pour assembler une arme atomique sont rendues publiques, émanant de l’AIEA, de gouvernements, de services de renseignements, ou encore de médias ou de « think tanks ». Aujourd’hui, les données accessibles aux experts leurs permettent d’estimer à dix à quinze jours voire à seulement une semaine le délai nécessaire à l’assemblage d’une arme, alors que celui-ci était de douze mois lorsque l’Iran respectait ses engagements du JCPoA, ce qui d’après onze rapports de l’AIEA fut le cas jusqu’à juillet 2019 après le retrait unilatéral des Etats-Unis le 8 mai 2018 décidé par Donald Trump. Les stocks de matière fissile enrichie évoqués précédemment conduisent certains experts à affirmer que cinq mois suffiraient à l’Iran pour produire l’UHE nécessaire pour 15 bombes. Toutefois, de tels délais ne permettraient en aucun cas à l’Iran de disposer d’une arme nucléaire opérationnelle et capable de constituer une menace crédible pour ses adversaires. En effet, si la matière fissile constitue un élément essentiel d’un programme nucléaire, il resterait à l’Iran de nombreuses étapes à franchir pour disposer d’une arme fonctionnelle. Il lui faudrait notamment transformer l’hexafluorure d’uranium en métal solide, réaliser la géométrie nécessaire et maîtriser les technologies de détonique et de neutronique adéquates (sources de neutron spécifiques au militaire) pour assurer la stabilité et la parfaite coordination des explosions et des réactions en chaîne. Il s’agit aussi de miniaturiser l’arme, de la tester et plus généralement de la vectoriser, c’est-àdire de l’adapter de telle sorte à pouvoir la placer sur un vecteur tel qu’un missile balistique.Des documents saisis en Iran par le Mossad (renseignement israélien) en 2018 indiquent que l’Iran a bel et bien exploré le processus de vectorisation, notamment son association au missile balistique Shahab-3. Cependant, le renseignement américain indiquait en mars 2024 que « l’Iran n’entreprend pas actuellement les activités clés de développement d’armes nucléaires nécessaires pour produire un dispositif nucléaire testable », phrase qui n’apparaissait cependant plus dans le rapport de juillet 2024 du pôle chargé du nucléaire iranien auprès du directeur du Renseignement national (Director of National Intelligence). En définitive, le niveau d’avancement de l’Iran dans le processus de vectorisation est peu clair, mais les données permettent d’affirmer que la République islamique ne disposera pas d’un arsenal de dissuasion nucléaire crédible et opérationnel en moins de un ou deux ans suite à une éventuelle décision d’y parvenir. Ainsi, l’Iran est incontestablement un état du seuil nucléaire, dont le franchissement ou « break out » dans le lexique anglophone serait acté dans le cas où le régime déciderait de produire une ogive d’UHE. En janvier 2024, Mohammad Eslami, directeur de l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran (OEAI) affirmait : « Il ne s’agit pas d’un manque de capacité de notre part. Il s’agit plutôt du fait que nous ne voulons pas le faire ». Aujourd’hui, comme en témoignent les données exposées ci-avant, le fait pour l’Iran de devenir une puissance nucléaire n’est plus un problème technique, mais une décision éminemment politique dont les conséquences techniques, économiques, politiques et stratégiques seraient considérables pour l’Iran et le Moyen-Orient.
Un Iran affaibli
Henry Kissinger affirmait dans World Order qu’en Iran, « la question nucléaire [est] traitée comme un volet d’une lutte plus générale pour l’ordre régional et la suprématie idéologique ». Il est vrai que ces dernières années, l’Iran s’est approché et a atteint un état de seuil nucléaire qui devait l’amener, selon le souhait de ses dirigeants, à être traité avec tous les égards d’un état du seuil, tant sur le plan de son intégration régionale que dans ses relations avec les grandes puissances, à commencer par les Etats-Unis. La question nucléaire s’inscrivait ainsi dans la stratégie de dissuasion et d’action plus large de défense avancée (« forward defense ») du régime, censée sanctuariser les frontières de l’Iran en traitant les menaces loin de celles-ci, qui comprenait les capacités de drones et missiles, la guérilla navale dans le golfe persique, et surtout l’ « axe de la résistance », nom donné par le régime iranien à ses alliés étatiques (Syrie du régime Al-Assad) et aux groupes et milices qu’il arme et finance (Hezbollah libanais, Hamas palestinien, Houthis yéménites, milices chiites irakiennes). Cette stratégie s’avère aujourd’hui être un échec, et la capacité de dissuasion de l’Iran se trouve considérablement réduite en ce début d’année 2025. En effet, les groupes armés qualifiés parfois de façon imparfaite de « proxies » affiliés à l’Iran ont subi de nombreuses défaite depuis octobre 2023 et les affrontements qui ont suivi l’attaque terroriste du Hamas contre Israël le 7 octobre. Bien que la volonté du gouvernement israélien de l’ « éradiquer » semble échouer, le Hamas est considérablement affaibli par l’opération militaire à Gaza qui a suivi l’attaque terroriste, avec la mort d’un nombre important de ses chefs et le démantèlement d’une partie significative de ses infrastructures et arsenaux dissimulés parmi les installations civiles. Le Hezbollah libanais, dont les capacités militaires, notamment de drones, roquettes et missiles étaient parmi les plus importantes de l’« axe de la résistance » a lui aussi subi une décapitation de son commandement et une réduction de son arsenal depuis le début de l’opération terrestre israélienne au Liban fin septembre 2024. De plus, la chute du régime de Bachar Al-Assad en Syrie, allié de Téhéran, compromet fortement l’approvisionnement en armes et en matériel du Hezbollah, d’autant plus que l’armée israélienne a profité du désordre syrien pour prendre le contrôle du Mont Hermon et de ses alentours à la frontière libanosyrienne pour asseoir encore davantage sa maîtrise de cette zone limitrophe par laquelle Téhéran approvisionnait en grande partie le Hezbollah. Les Houthis yéménites, qui ont montré leur pouvoir de nuisance sur le commerce international dans le détroit de Bab-elMandeb et dont les capacités demeurent solides malgré la longue intervention saoudienne et les récentes frappes israéliennes et anglo-américaines, ne sont en aucun cas un mandataire piloté depuis Téhéran et se concentrent avant tout sur leur propre agenda yéménite et leur environnement immédiat. Il en va de même pour les milices irakiennes qui se sont montrées discrètes depuis octobre 2023. En outre, les capacités et exercices concluants de la marine américaine depuis de nombreuses années rendent inopérante la menace proférée de longue date par Téhéran de bloquer le détroit d’Hormuz et d’imposer sa loi sur le trafic naval dans le golfe persique. De plus, les attaques directes de drones et missiles balistiques et de croisière iraniens sur le territoire israélien les 14 avril (300 projectiles) et 1er octobre (180) 2024 ont conduit à des dégâts faibles suite à une très large interception par les systèmes anti-missiles d’Israël (dôme de fer, fronde de David et Arrow) et de ses alliés, décrédibilisant de fait la dissuasion que constituait l’important programme balistique iranien. La chute du régime de Bachar Al-Assad évoquée précédemment constitue certainement un des revers les plus significatifs pour Téhéran qui avait financé le régime baasiste à hauteur d’une somme variant de 30 à 50 milliards de dollars selon diverses estimations. Enfin, l’opération aérienne israélienne du 26 octobre 2024 a révélé les failles importantes du système de défense aérienne iranien. De nombreux systèmes ont été détruits, notamment les systèmes les plus avancés S-300 de manufacture russe dont deux sur quatre ont été endommagés de façon avérée voire même les quatre d’après Israël. Bien que la relative mesure d’Israël et de Téhéran dans leurs attaques et ripostes ait évité une escalade incontrôlée en 2024, les dégâts infligés aux capacités et à la dissuasion de l’Iran sont effectifs. Les difficultés iraniennes sur le plan extérieur sont d’autant plus rudes que les montants alloués à la stratégie de défense avancée sont à considérer à la mesure de l’état de crise dans lequel se trouve l’économie iranienne. Les sanctions extrêmement rudes infligées à l’économie iranienne, partiellement levées par l’accord de 2015 et rétablies et renforcées par la politique de « pression maximale « de l’administration Trump asphyxient une économie à bout de souffle, qui n’a plus accès significativement aux technologies, investissements et marchés étrangers et ne peut exporter ses hydrocarbures qu’à la Chine dans le cadre d’un accord bilatéral prévoyant un tarif réduit. L’Iran se trouve dans une situation de grande précarité énergétique, avec des infrastructures vieillissantes et des capacités hautement insuffisantes faisant de cet état aux réserves de gaz et de pétrole parmi les plus importantes du monde un importateur net de pétrole raffiné. Cet hiver, le gouvernement de Masoud Pezechkian a demandé à la population d’économiser l’énergie, et quatre-vingt parlementaires ont demandé la censure du ministre de l’Economie alors que la monnaie nationale a chuté de 45% par rapport au dollar au cours de l’année 2024. Cette situation aggrave une crise politique profondément ancrée dans une société qui se mobilise massivement en opposition au régime qui se sait fragile.
Téhéran à l’heure des choix
Dans ces conditions, il est à craindre que l’Iran tire comme conséquence de ses nombreux revers la nécessité de rétablir la dissuasion en s’appuyant sur le seul moyen potentiellement encore à sa disposition : l’arme nucléaire. Certains poussent en ce sens à Téhéran. A ce stade, l’Iran s’est contenté d’un état de seuil qui lui permettait d’avoir « tous les avantages de l’arme nucléaire sans les inconvénients » et sans la posséder selon Héloïse Fayet en juillet 2024, chercheuse au Centre des études de sécurité de l’IFRI. Cette situation est révolue, et l’Iran est aujourd’hui face à des choix structurants, qui renvoient aux dynamiques internes et aux confrontations de plusieurs visions de l’Iran et du monde parfois anciennes. Il existe en Iran une âpre compétition interne sur la façon de définir la sécurité nationale et les manières de l’assurer, qui laisse s’affronter les différentes franges plus ou moins conservatrices du régime et laisse transparaître de façon exacerbée les différentes composantes de l’Etat iranien. Il s’agit notamment de la dualité structurante entre d’une part le clergé chiite incarné par le Guide suprême Ali Khamenei associé à l’appareil sécuritaire et le Corps des Gardiens de la Révolution islamique, chargé des questions stratégiques, du renseignement, des groupes nonétatiques alliés à l’extérieur et des otages et assassinats, et d’autre part du gouvernement de la République islamique dirigé aujourd’hui par le Président Masoud Pezechkian, incarnant un conservatisme plus modéré que son prédécesseur Ebrahim Raïssi décédé en mai 2024 dans un accident d’hélicoptère. Le pouvoir réel à Téhéran, notamment sur les questions stratégiques telles que le nucléaire, est entre les mains du Guide suprême et des Gardiens de la Révolution, alors qu’un espace de débat limité peut s’exprimer au parlement et au gouvernement entre les différentes franges conservatrices du régime. Dans ce cadre, l’élection du Président de la République islamique, notamment lorsqu’il s’agit d’un « conservateur » ou d’un « réformiste » ou « modéré » selon les dénominations du régime reprises par de nombreux médias occidentaux ne constitue en aucun cas un changement du pouvoir à Téhéran mais un ajustement tactique consenti par l’état profond idéologico-sécuritaire pour défendre au mieux les intérêts du régime. La question nucléaire s’inscrit dans une situation où l’Iran, qui comme l’expliquait Henry Kissinger dispose dans la région de « l’expérience la plus cohérente de la grandeur nationale et la tradition stratégique la plus longue et la plus subtile », est tiraillé entre différentes aspirations forgées par l’histoire. Il s’agit de la conception de l’Iran comme état-nation menant une politique basée sur ses intérêts nationaux dans un système westphalien de relations équilibrées entre états souverains, de la tradition impériale visant à exercer une forme de domination sur ses voisins parfois associée à une mission civilisatrice, et enfin une conception islamique idéologique et révolutionnaire de l’Iran. Ces visions ne sont pas imperméables, bien qu’opposées en principe, notamment depuis l’avènement de la République islamique en 1979 qui se donnait pour mission de renverser l’ordre international mais revendique les droits et privilèges d’un état souverain utilisé comme un outil. De même, la constitution d’un réseau de partenaires ou mandataires étatiques ou inter-étatiques dans le cadre de la stratégie de défense avancée peut être vu comme une forme de continuité de la tradition impériale aujourd’hui compromise alors que Téhéran n’a plus de pouvoir de vie et de mort sur la politique à Beyrouth, Damas ou Baghdad. Bernard Hourcade, Directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste de l’Iran évoquait en août 2024 la possibilité d’un retour en grâce de la tradition nationaliste iranienne au vu du pragmatisme relatif affiché par le régime à travers la politique régionale d’Ebrahim Raïssi et l’accession de Masoud Pezechkian à la Présidence. Ali Khamenei disait en 2013 : « Lorsqu’un lutteur fait preuve de souplesse pour des raisons techniques, qu’il n’oublie pas qui est son adversaire. » Masoud Pezechkian a donc pour rôle de faire les concessions tactiques intérieures et extérieures nécessaires pour sauver le régime, y compris sur la question nucléaire pour laquelle les signes d’une disponibilité de l’Iran à négocier se multiplient depuis fin 2024 pour l’ensemble des raisons évoquées précédemment et du fait de l’accession de Trump à la Maison-Blanche. L’Iran a face à lui deux options théoriques principales. Les franges les plus modérées du régime semblent plaider pour un sauvetage de l’économie et une stabilisation du régime qui exigerait une négociation avec les puissances occidentales et impliquerait une plus grande intégration dans son environnement régional via des accords avec les pays du golfe (Arabie Saoudite, Emirats arabes unis, Qatar) qui y semblent prêts, en faisant des concessions sur sa politique étrangère et sur le programme nucléaire. En effet, le renforcement des liens avec la Chine et la Russie ne semble pas suffire à assurer la prospérité de l’Iran sous sanction. L’histoire compliquée des relations russo-iraniennes est à l’origine d’une méfiance toujours présente en Iran, à laquelle s’ajoute des divergences dans la politique régionale, une économie russe offrant peu d’opportunités à l’Iran et une coopération militaire qui patine alors que l’Iran demande sans succès pour le moment des avions de combat Su-35 et des systèmes de défense aérienne avancés. De même, le discours officiel vantant la complémentarité d’un Iran riche en ressources naturelles et d’une Chine championne de la technologie peine à donner des résultats concrets pour l’économie iranienne, alors que les domaines de coopération demeurent limités et que la Chine ne peut se permettre de violer ouvertement les sanctions, ce qui lui fermerait l’accès aux marchés occidentaux dont elle a besoin. A Téhéran, beaucoup sont ainsi convaincus que le sauvetage de l’économie iranienne et la stabilité du régime doivent immanquablement passer par une forme d’entente avec les puissances occidentales. L’autre option dont dispose l’Iran, défendue par les milieux les plus idéologiques, notamment parmi les Gardiens de la Révolution qui ont des objectifs plus politiques, consiste à refuser les compromis avec l’occident et à devenir une puissance nucléaire militaire. Ceux-ci estiment notamment que l’Iran a déjà payé le prix de son programme nucléaire avec les sanctions, et que l’arme nucléaire est le seul moyen de sauver le régime théocratique. Début octobre 2024, une quarantaine de parlementaires et des médias proches du corps des Gardiens de la Révolution appelaient le Guide Suprême Ali Khamenei à réviser la doctrine nucléaire du pays. En effet, une fatwa (avis juridique islamique) du Guide suprême datant de 2010 rend incompatible la possession de l’arme nucléaire avec les principes islamiques et est souvent présentée comme une preuve du caractère strictement civil de son programme nucléaire.
Vers une nouvelle négociation ?
Il est difficile de connaître en détail la nature des débats au sein du pouvoir iranien, alors que le bureau du Guide suprême est décrit comme « une boîte noire encore plus opaque que le Kremlin pendant la guerre froide » par Ali Avez, directeur du projet Iran de Crisis Group, et que le gouvernement n’est pas forcément tenu au courant de la teneur des discussions au sein de l’état profond. Mais c’est vers la première option que semble pencher le régime, comme en témoignent les déclarations du Président Pezechkian et du ministre des Affaires étrangères Abbas Araghtchi en janvier 2025, malgré les propos d’Ali Khamenei sur des négociations qui ne seraient « ni intelligentes, ni sages, ni honorables ». Ces déclarations doivent certainement être interprétées comme des propos d’estrade destinés aux partisans du régime (estimés à 10 à 15% de la population) et servant à contrebalancer les signes d’ouverture du gouvernement Pezechkian. De plus, l’Iran multiplie les exercices militaires et les démonstrations de force, comme celui du 7 janvier portant sur la défense aérienne prêt du site nucléaire de Natanz, lors duquel Téhéran affirma pouvoir intercepter des bombes lourdes anti-bunkers. Les discours martiaux, les démonstrations de force et même l’intensification assumée du programme nucléaire depuis fin 2024 ne doivent pas simplement être vues comme le signe des hésitations internes à Téhéran sur la marche à suivre mais bien comme des signaux envoyés aux occidentaux pour rappeler le pouvoir de nuisance de l’Iran et sa détermination dans le but de négocier. Il s’agit d’avertir les occidentaux des conséquences que pourraient avoir un refus de leur part de se prêter à cet exercice. Il n’y a dans les relations internationales rien de plus classique que le maximalisme et les démonstrations d’intransigeance avant une négociation. Il semble ainsi exister une fenêtre de négociation du côté de Téhéran, option qu’une analyse coût / bénéfice semble conforter. Cependant, la voie choisie par Téhéran dépendra de ses propres calculs prenant en compte la vision du monde et les aspirations propres aux dirigeants iraniens, et non pas des « préconceptions » occidentales, pour citer à nouveau Kissinger. De là à affirmer qu’il n’existe pas de rationalité en Iran, qui ne serait que « fanatique » et « obsédé par le martyr » comme l’affirment certains faucons opposés à toute négociation, c’est une profonde ignorance de la riche culture politique et stratégique iranienne. L’ambassadeur de France Gérard Araud, qui a été un des acteurs de la négociation avec l’Iran sur le dossier nucléaire, fait partie de ceux qui n’hésitent pas à rappeler que « l’Iran n’est pas suicidaire ». L’ex-empire perse présente une complexité très éloignée à la fois des caricatures de fanatisme et des méthodes de calcul purement occidentales. Le consensus sur les moyens cache parfois des divergences sur les fins : le nucléaire et le réseau d’influence régional sont-ils une monnaie d’échange dans les négociations avec ses adversaires ou une fin en soi dans le grand dessein de diffusion de la révolution islamique ? Aujourd’hui le Guide suprême semble considérer la pression nucléaire comme un moyen d’amener les Etats-Unis et leurs partenaires à la table des négociations, alors que les franges les plus modérées du régime soulignent le coût qu’aurait l’arme nucléaire.
Trump, Israël et les autres
Mais il faut être plusieurs (au moins deux) pour négocier. C’est en cela que la politique américaine, avec le retour de Donald Trump au pouvoir sera déterminante. Ce dernier n’est pas connu pour sa complaisance à l’égard de l’Iran : il est à l’origine de la politique dite de « pression maximale » après avoir décidé, avec la bénédiction du jusqu’auboutisme au pouvoir en Israël, de rendre caduc le JCPoA en le quittant alors que les Iraniens le respectaient à la lettre d’après l’AIEA. La politique de l’administration Trump ne saurait être exclue des causes de la situation actuelle. Bien que l’entourage de Trump parlait de faire faire « banqueroute » à l’Iran en novembre 2024, celui-ci a fait savoir qu’un accord avec l’Iran serait souhaitable. La signature d’un décret prévoyant le renforcement des sanctions contre l’Iran peu après son accession au pouvoir ne contredit en aucun cas cette volonté apparente de négocier : il s’agirait davantage de poursuivre la politique de « pression maximale » pour tenter de forcer les autorités iraniennes à négocier dans un contexte où celles-ci seraient susceptibles d’accepter un accord plus dur qu’en 2015. A court terme, il y a en effet peu de chances que Trump soutienne l’idée défendue par Israël d’une action militaire contre l’Iran à moins que les renseignements n’indiquent des avancées tangibles du régime vers la militarisation de l’arme nucléaire. Dans ses premiers pas sur le nucléaire iranien dans ce nouveau mandat, on peut d’ores et déjà retrouver deux des quelques fondements de sa pensée en matière de politique étrangère, observés durant son premier mandat : premièrement, une capacité à exploiter sans scrupules des rapports de force dont la perception est d’ailleurs fine ; et deuxièmement, son aversion à l’usage de la force et sa préférence pour une diplomatie d’affaires faites de « deals » qui lui permettent de crier victoire devant ses partisans. C’est précisément ce que lui permettrait la signature d’un hypothétique accord avec l’Iran, qu’il présenterait comme meilleur que l’accord de 2015 signé par Obama qu’il juge extrêmement mauvais. L’influence dans son entourage des faucons réticents à tout compromis avec l’Iran, et de fait proches des positions du gouvernement israélien actuel sur le sujet, reste cependant encore à déterminer. Dès lors, la question de la nature et de l’étendue des demandes de l’administration Trump se pose. Un des principaux reproches de Trump à l’accord de 2015 était qu’il n’intégrait pas le programme balistique de l’Iran. Mais on peut raisonnablement douter que Trump se satisfasse du seul ajout de ce point, puisque le Président Macron avait tenté de sauver l’accord sans succès en 2018 en mettant ce sujet sur la table. Si la question des capacités d’enrichissement et du stock de matière fissile enrichie sera centrale, bien que obligatoirement mise à jour par les avancées iraniennes depuis 2019, d’autres demandes américaines pourraient inclure la politique régionale le soutien iranien aux « proxies », voire même l’arrêt de l’enrichissement d’uranium sur le sol iranien et la cessation de toutes les activités secrètes liées aux armes dans les laboratoires selon certaines sources. En raison de son relatif affaiblissement décrit précédemment, l’Iran est peutêtre prêt à faire des concessions plus importantes qu’en 2015, tel que son soutien à l’effort de guerre russe, au Hezbollah et autres groupes armés et un contrôle strict de son programme nucléaire. Mais il est probable que certaines demande américaines soient franchement irréalistes et considérées comme inacceptables par Téhéran, qui a par exemple souvent décrit l’enrichissement de l’uranium comme un droit inaliénable. Durant le mois de janvier, les dirigeants iraniens ont insisté dans plusieurs déclarations sur le faible niveau de confiance entre l’Iran et l’administration Trump : on peut raisonnablement douter de la capacité de l’Iran à faire des concessions telles qu’il renoncerait de fait à tout moyen de dissuasion ou de souveraineté (capacité souveraine d’enrichissement, programme balistique, certains aspects de la politique régionale). De même, bien que les possibilités existent, l’Iran pourrait éprouver une certaine difficulté à faire une offre susceptible d’intéresser Trump, qui affectionne les idées simples et percutantes et les succès rapides, alors que la technicité des négociations risque de l’ennuyer. L’Iran est affaibli mais n’est pas totalement défait ou impotent : il dispose d’une capacité balistique (des milliers de missiles), les Houthis et les milices irakiennes conservent un pouvoir de nuisance, les relations avec Moscou et Pékin se sont renforcées et les liens avec les pays du golfe se sont resserrés ; l’Iran est tout sauf isolé. En cas d’embourbement des négociations, les franges les plus opposées à celles-ci en Iran pourraient prendre ces éléments en considération et convaincre le Guide suprême de se montrer plus ferme en menant des actions escalatoires dans le but de faire plier Trump ou d’amener les états du golfe à mettre la pression aux Etats-Unis pour qu’ils se montrent plus conciliants. En effet, les monarchies arabes qui soutenaient la politique de pression maximale en 2015 sont plus frileuses cette fois-ci, par crainte de se retrouver en première loge d’éventuels affrontements en cas d’échec des négociations (attaques sur les installations pétrolières par exemple). Ils redoutent particulièrement une conflagration régionale impliquant les Etats-Unis. Les états du golfe seraient disposés à trouver un accord avec l’Iran pour parvenir à un modus vivendi, adopter une stratégie de désescalade et définir des zones d’influence respectant la souveraineté de chacun. En mars 2023, l’Iran et l’Arabie saoudite avaient annoncé la reprise de leurs relations diplomatiques sous l’égide de la Chine, et le dialogue semble se poursuivre : en novembre 2024 par exemple, les chefs d’Etat-major des deux armées s’étaient rencontrés à Téhéran. Le gouvernement israélien, à l’inverse des monarchies du golfe, est resté constant dans son opposition à tout compromis avec Téhéran, et ne cache pas sa préférence pour une politique de pression maximale tous azimuts associée à des frappes militaires sur les sites nucléaires et balistiques iraniens. Israël aurait pourtant tout intérêt à un accord qui stabiliserait la région et réduirait la menace iranienne, mais l’histoire nous rappelle qu’il est souvent erroné d’expliquer le refus d’un état de suivre une politique jugée rationnelle par le seul aveuglement : c’est oublier le changement de paradigme profond qu’a imposé le traumatisme du 7 octobre aux Israéliens, et une forme d’hubris liée aux nombreux succès militaires tactiques. En d’autres circonstances, on aurait dit que lorsqu’on possède un marteau, tout problème ressemble à un clou. Depuis Trump, il n’existe plus aux Etats-Unis la conviction que seul un accord sur la question palestinienne amènera la paix au Moyen-Orient. Netanyahou propose en substance d’exploiter l’alliance de fait entre Israël et les pays arabes et de traiter la question palestinienne à la toute fin pour faire naître un nouveau Moyen-Orient basé sur la force et la suprématie régionale israélienne soutenue par les Etats-Unis. C’est la politique que mène Donald Trump avec les accords d’Abraham, auxquels il rêve d’ajouter l’Arabie saoudite. Celle-ci pourrait être une des clés du nouvel ordre régional qui se dessine : un Moyen-Orient israélo-américain basé sur la force et les accords d’Abraham que lui proposent Netanyahou et Trump jusqu’alors, ou une entente avec l’Iran, avec les autres états arabes, qui n’exclurait d’ailleurs pas d’avancer sur les relations israélo-saoudiennes. Dans les deux cas, l’Arabie saoudite semble être la pièce maîtresse. Concernant les Européens, leur hostilité à l’égard de l’Iran s’est accrue et leurs relations avec Téhéran se sont détériorées depuis 2022. Les Européens, qui ont essayé de sauver l’accord, considèrent que l’Iran porte une part de responsabilité dans l’échec des négociations qui avaient pour but de le maintenir ou le raviver. Ils reprochent à l’Iran son soutien à la Russie, ses otages d’état et ses actions contre les dissidents sur le sol européen ainsi que les atteintes aux droits humains en interne et sa politique de déstabilisation du Moyen-Orient à travers son soutien à l’ « axe de la résistance ». Néanmoins les Européens, dont on connaît le rôle majeur dans les négociations qui ont précédé 2015 pourraient éventuellement utiliser leurs liens avec les Etats-Unis et les canaux qu’ils leur reste avec l’Iran pour sonder les deux parties, évaluer leur disponibilité à négocier et l’étendue des concessions qu’ils sont prêts à faire. Par ailleurs, des négociations irano-américaines pourraient tout d’abord prendre la forme d’une réouverture d’un canal de négociation secret entre les deux Etats, comme en 2013 par l’intermédiaire du Sultanat d’Oman, ce qui avait amené à un accord restreint qui avait lui- même conduit plus tard au JCPoA. Le Qatar, qui joue un rôle d’intermédiaire entre Israël, les Etats-Unis et le Hamas a également indiqué sa disponibilité à s’impliquer dans un tel processus. Il s’agirait de rétablir le dialogue, réfléchir à des principes de conduite et de compréhension mutuelle et élaborer des étapes et mesures concrètes de désescalade. Trump pourrait par exemple commencer par imposer à l’Iran de ne pas travailler à l’intégration militaire et la vectorisation des armes en échange de la promesse qu’il n’y aura pas d’attaque américaine ou israélienne, ou de tentative de déstabilisation du régime. Ce processus, qui ne nécessiterait ni la mobilisation de l’appareil diplomatique formel, ni le Congrès de côté américain, aurait pour avantage d’offrir une porte de sortie aux protagonistes à tout moment.
Echec des négociations, autres options et conséquences
Si les négociations échouent, l’idée d’une sous-traitance israélienne pour des frappes sur les installations nucléaires iraniennes fait néanmoins son chemin à Washington. Gérard Araud, ambassadeur en Israël de 2003 à 2006, s’est forgé la conviction qu’ « Israël n’acceptera jamais que l’Iran, qui appelle à sa destruction, n’accède à l’arme nucléaire ». Concernant le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, le combat contre l’Iran sur tous les fronts constitue pour lui une priorité stratégique, voire même un obsession personnelle depuis son retour au pouvoir en 2009. En 2010, il avait déjà ordonné avec son ministre de la Défense Ehud Barak la préparation d’un plan de frappes des installations nucléaires iraniennes, que les chefs de l’armée, du Mossad et du Shin Bet (renseignements extérieurs et intérieurs respectivement) lui avaient refusé. Enhardi par l’opération israélienne d’octobre 2024 qui aurait affecté durement les défenses aériennes iraniennes et touché des installations clés du programme balistique, il souhaiterait que Trump attaque directement l’Iran ou du moins donne à Israël tout le soutien opérationnel nécessaire (renseignement, systèmes d’alerte avancée et coordination aérienne). Le Général Hayden, qui dirigea successivement la NSA et la CIA, estimait en 2010 que l’objectif de Netanyahou et Barak était moins d’attaquer l’Iran que de provoquer des actions qui forceraient les USA à le faire. La situation semble être inchangée sur ce point. Cependant, des frappes sur les installations nucléaires iraniennes risqueraient de ne retarder le programme que de quelques années et pourraient pousser l’Iran à aller au bout, s’y sentant obligé par la victoire du parti de l’atome à Téhéran, qui appelle à sauver le régime grâce à la bombe. De telles frappes pourraient provoquer une riposte iranienne massive à laquelle Israël devrait faire face. Les Etats-Unis se porteraient de fait garants d’une telle opération, d’autant plus que les Israéliens auraient besoin d’un soutien opérationnel américain ainsi que des bombes anti-bunkers que Washington ne leur aurait pas encore livré à ce stade. Les Israéliens ne peuvent a priori pas se permettre d’agir seuls et d’en assumer seuls toutes les conséquences, y compris celles qui concerneraient d’autres pays de la région, le commerce international et le prix du baril. A plus long terme, l’Iran veillerait à enterrer encore davantage ses installations nucléaires et pourrait assumer un programme entièrement clandestin, dépourvu de toute inspection de l’AIEA. Une telle expulsion des agents de l’AIEA, dont des frappes sur les installations iraniennes ne pourraient être qu’une cause possible parmi d’autres, constituerait une fuite en avant qui rappelle dangereusement le précédent irakien. Cela prendrait certainement la forme d’une sortie de l’Iran du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui constituerait un saut vers l’inconnu. L’absence de surveillance par l’AIEA ferait reposer la totalité de la mission de surveillance sur les différents services de renseignement nationaux, avec leurs possibles biais et interprétations erronées. Une absence de surveillance internationale autre que par l’espionnage national aggraverait les risques d’escalade et favorisait les spéculations, les erreurs de calcul et les suppositions catastrophistes. Par ailleurs, une sortie du TNP n’entraînerait pas inévitablement une décision iranienne de devenir un état nucléaire : il pourrait aussi s’agir d’un outil escalatoire que le régime jugerait, de façon risquée, moins radical que la production d’une arme nucléaire. Téhéran pourrait s’en servir pour diviser ou mettre la pression sur la communauté internationale et menacer de se rétracter en cas d’actions israéliennes jugées agressives ou de rétablissement du régime des sanctions par les Européens avec la procédure de « snapback ». Par ailleurs, une série d’actions israéliennes jugées hostiles et qui affaibliraient l’Iran davantage ou lui donnerait le sentiment d’une menace existentielle, pourraient également conduire Téhéran à estimer que les bénéfices d’une négociation associée à un état de seuil deviennent inférieurs à ceux que confèrerait la possession de l’arme nucléaire. En outre, l’Iran sait qu’une annonce par l’AIEA de la détection de combustible enrichi au niveau militaire, c’est-à-dire le franchissement du seuil nucléaire, entraînerait sûrement une opération militaire israélo-américaine. Conscients de la vulnérabilité qu’apporte le temps de vectorisation d’une éventuelle arme nucléaire, les partisans de l’arme atomique auraient même conduit le régime à étudier la possibilité d’une arme « grossière », c’est-à-dire peu performante et intégrée à un engin rustique, dont la durée d’assemblage serait estimée à seulement 6 mois et probablement inspirée des premiers plans récupérés auprès du pakistanais Abdul Qader Khan à l’aube de l’aventure nucléaire militaire iranienne. Cela permettrait à Téhéran de disposer d’une capacité de dissuasion plus rapidement mais dont l’efficacité serait réduite par rapport à une arme plus perfectionnée et à longue portée. Une conséquence plus optimiste d’une sortie de l’Iran du TNP serait un sentiment d’urgence qui pourrait amener à une mobilisation plus importante de la communauté internationale vis-à-vis de l’Iran. Par ailleurs, le contexte international actuel avec la convergence d’une partie des intérêts de certaines puissances sur un agenda révisionniste anti-occidental ne saurait occulter les réserves voire les profondes réticences d’états comme la Chine qui ne souhaitent pas a priori voir l’Iran devenir une puissance nucléaire. La Chine, mais aussi dans une certaine mesure la Russie, souhaitent faire partie d’un club fermé et ne souhaitent pas une prolifération nucléaire massive. Accessoirement, s’il fallait une preuve supplémentaire que les BRICS+ ne sont pas un « axe » uniforme et aligné, la prolifération nucléaire en est une. En effet, bien que la coopération nucléaire civile russo-iranienne soit ancienne, rien n’indique que la Russie souhaite aider l’Iran à accéder à l’arme nucléaire. C’est toutefois une éventualité qu’il faut considérer, mais certainement dans le seul cas où la Russie s’y trouverait contrainte pour obtenir davantage de soutien militaire par exemple. En outre, le risque de prolifération nucléaire est peut-être la conséquence la plus importante d’une accession au statut de puissance nucléaire de l’Iran. Au-delà du fait de porter un coup dévastateur au régime international de non-prolifération, un tel évènement fait craindre le spectre d’un Moyen-Orient nucléaire, alors que seul Israël possède l’arme atomique aujourd’hui (selon des informations que l’état hébreu refuse de confirmer ou de nier dans le cadre d’une politique d’ambiguïté stratégique). En effet, l’Arabie saoudite ne cache pas ses intentions d’acquérir l’arme nucléaire dans le cas où l’Iran le ferait. Des hypothèses similaires existent pour la Turquie et l’Egypte qui développent d’ailleurs un programme nucléaire civil. Mais une rare fenêtre diplomatique semble s’ouvrir, dans un contexte résultant de rapports de forces et d’équilibres politiques internes chez les différents acteurs. Cette situation peut changer à tout moment, par une erreur de calcul ou une décision de la part d’un des acteurs, et aggraver une situation déjà dangereuse aux enjeux cruciaux. Alors que l’accord de Vienne prend fin cette année avec le dernier mécanisme de sanctions en octobre, les décisions des différents acteurs sur le dossier du nucléaire iranien pourraient façonner le visage du Moyen-Orient pour les décennies à venir et avoir d’autres conséquences sur le nouvel ordre mondial qui semble se dessiner.
Article par : Matthias Bianchi