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L’avenir du chiisme politique.

Échange de feu avec Israël, retour de Trump à la maison blanche… Quelle marge de manœuvre à Téhéran pour la diffusion du chiisme politique dans la région ?

Plusieurs visions s’opposent au sein du régime.

« L’Iran est-il une cause révolutionnaire ou un Etat-Nation ? »

Ces mots d’Henry Kissinger décrivent parfaitement le dilemme auquel le pays est confronté.

La diffusion de l’islamisme révolutionnaire, pilier doctrinal du régime depuis 1979, est aujourd’hui plus contestée que jamais.

L’islamisme révolutionnaire est l’idéologie fondatrice de la république Islamique.

Théorisée dès 1970 par le premier Guide Suprême, l’Ayatollah Rouhallah Khomeini, elle reprend le principe théologique de « Velayet-e faqih », traduit approximativement par gouvernement du juriste.

L’idéologie révolutionnaire est profondément anti-impérialiste et pan-islamiste.

Elle a pour objectif de libérer les musulmans du monde (la Ummah) du joug colonial occidental, et particulièrement de l’ennemi viscéral états-uniens.

Par conséquent, le financement des milices chiites à travers le Moyen-Orient par l’Iran sert un double objectif :

  • Stratégique : déplacer les combats loin de ses frontières nationales
  • Idéologique : diffuser l’idéologie révolutionnaire par l’intermédiaire de ses groupes paramilitaires.

L’Iran s’est toujours positionné en défenseur de la cause palestinienne, très chère à l’opinion publique dans le monde arabe et musulman

Contrastant avec les grandes puissances sunnites, l’activisme iranien face à Israël vise à établir son leadership idéologique dans la région.

Cette stratégie de ni en paix ni en guerre est aujourd’hui contestée.

L’Iran n’a pas réussi à maintenir l’escalade militaire au-delà de ses frontières, désacralisant ainsi son intégrité territoriale. Le Hezbollah, lui, décapité, connait une crise de légitimité au Liban.

En interne, la crise économique, déjà catastrophique, risque de s’accentuer avec le retour de la politique de pression maximale prônée par Trump et la contestation populaire est au plus haut.

Pour la république Islamique, le dilemme est le suivant :

  • Poursuivre l’expansionnisme en opposition frontale avec l’occident, quitte à risquer une aggravation de la situation économique et une escalade militaire plus large.
  • Limiter ses ambitions régionales pour obtenir un allègement des sanctions afin de faire respirer l’économie.

L’équilibre entre les ambitions révolutionnaires et les impératifs de la survie du régime a toujours été structurant des oppositions entre les différentes factions.

Voyons comment s’est constitué autour du Guide un réseau d’intérêt influençant la politique étrangère du pays.

Ce réseau, pouvant être qualifié d’Etat profond, s’est structuré lors de l’avènement de la seconde République, après la mort de Rouhollah Khomeini. Son successeur, Ali Khamenei, a progressivement étendu sa sphère d’influence à de nombreux organes du pouvoir, notamment le clergé.

Dès lors, les factions révolutionnaires plaident pour une politique plus pragmatique.

Les plus traditionalistes eux, étaient intransigeants sur la nature révolutionnaire du régime et sa vocation à l’expansion. Ce sont ces derniers qui ont gagné les faveurs du Guide suprême.

Les services de sécurités et de renseignements, les gardiens de la révolution (CGRI) ainsi que l’establishment économique n’ont jamais cessé, depuis lors, d’accroître leurs influences. Tout cela avec la bénédiction du Guide suprême.

L’influence politique et économique croissante du CGRI leurs a permis de développer un réseau clientéliste.

Leur influence tentaculaire dans les sphères économiques et politiques du pays leur assure fidélité des élites.

 

Au niveau idéologique, ils craignent qu’un éloignement des principes fondateurs ne mène à un effondrement du régime, à la manière de l’URSS en 1991.

Ils considèrent l’autoritarisme intérieur et l’expansionnisme extérieur comme indispensables à la survie du régime.

L’influence du Deep State sur le gouvernement élu s’observe dès la deuxième décennie de la révolution.

Le président Rafsandjani, qui plaidait pour une libéralisation du régime en 1989, s’est trouvé confronté à l’opposition du CGRI.

Le président Rouhani, a également tenté, sans succès, de 2013 à 2017 de limiter l’influence du Deep State.

Allant jusqu’à publiquement les critiquer en 2017, son discours réformiste sera moins audible à partir du retrait de Trump des accords nucléaire en 2018.

Quelle marge de manœuvre pour Masoud Pezeshian ? Le successeur du très conservateur Raïssi s’est fait élire sur la base d’un programme réformiste.

Depuis son élection, de nombreuses lignes rouges ont sauté et la république islamique se trouve face à un tournant.

Première surprise de la présidence Pezeshkian :

Il a réussi à faire accepter au parlement, dominé par les conservateurs proches du CGRI, un gouvernement composé majoritairement réformiste et d’interlocuteurs audible pour l’occident comme Mohammad Zarif ou Abbas Araghchi.

Le rapprochement irano-saoudien récent pourrait également signaler la possibilité d’une restreinte des ambitions régionales.

Reste à savoir quel sera le seuil de retenue acceptable pour les iraniens, et surtout si la volonté de retenue sera partagée par Israël et les USA.

 

L’Iran voit aujourd’hui les limites d’une politique extérieure qu’elle a mis 4 décennies à patiemment construire.

Ils doivent aujourd’hui trouver l’équilibre entre maintenir une dissuasion crédible, tout en laissant la porte ouverte à une désescalade à venir.

Conscients de l’urgence absolue de faire respirer l’économie, le CGRI et le Guide suprême semblent laisser à Pezeshkian une certaine marge de manœuvre.

L’évolution du front libanais sera déterminant pour l’avenir du chiisme politique dans la région.

 

Sources :

https://shs.cairn.info/revue-politique-etrangere-2020-1-page-33?lang=fr&tab=texte-integral#re13no13

https://www.lesclesdumoyenorient.com/Iran-les-surprises-du-nouveau-gouvernement.html

https://www.hoover.org/research/iranian-deep-state

Wael Charif

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