Le référendum de 1995 sur la souveraineté du Québec reste un grand moment marquant de l’histoire politique québécoise. Malgré une mobilisation exceptionnelle des partisans du camp du Oui, le résultat fut d’une étroitesse historique, avec 49,42 % des Québécois en faveur de la souveraineté contre 50,58 % pour le Non. Trente ans plus tard, le rêve souverainiste semble s’éloigner dans un contexte démographique et économique transformé, analyse.
Le Québec, une terre Historiquement Francophone
Le Québec occupe une place unique au sein du Canada. À l’origine de cette distinction se trouve son héritage francophone, qui remonte à l’époque de la Nouvelle-France, colonie fondée par les explorateurs français au début du XVIIe siècle. Alors que le reste du Canada est majoritairement anglophone, le Québec constitue un bastion de la langue et de la culture françaises en Amérique du Nord.
Avant le référendum de 1995, le mouvement souverainiste québécois avait déjà marqué l’histoire politique du Canada. Le Parti Québécois, fondé en 1968 par le grand René Lévesque, avait pour objectif de promouvoir et d’amener à l’indépendance du Québec. En 1980, un premier référendum sur la « souveraineté-association » fut organisé par le gouvernement de René Lévesque. Toutefois, la proposition fut rejetée par 59,56 % des Québécois, qui choisirent déjà de rester au sein du Canada.
Malgré cette défaite, le mouvement souverainiste continua de gagner en popularité. Plusieurs événements politiques majeurs contribuèrent à alimenter ce sentiment. L’échec des accords constitutionnels du lac Meech en 1987, visant à reconnaître le Québec comme une « société distincte » au sein du Canada, fut perçu comme une trahison par de nombreux Québécois. De même, l’accord de Charlottetown en 1992, qui proposait une réforme constitutionnelle incluant des concessions pour le Québec, fut rejeté lors d’un référendum national. Alors, ces frustrations alimentèrent un désir renouvelé de souveraineté, préparant ainsi le terrain pour le référendum du 30 octobre 1995.
Le camp du Oui au référendum de 1995
Dirigé par le Parti Québécois (PQ) sous la direction de Jacques Parizeau, alors Premier ministre du Québec, le camp du Oui bénéficiait du soutien d’autres forces politiques souverainistes, notamment au niveau fédéral du Bloc Québécois mené par Lucien Bouchard et des mouvements comme le Conseil de la souveraineté. Jacques Parizeau incarnait une vision économique et institutionnelle d’un Québec indépendant, alors que Lucien Bouchard, avec son charisme et sa popularité, jouait un rôle clé pour rallier les indécis et galvaniser les foules, cette campagne fut un véritable moment d’effervescence politique pour les souverainistes, qui, comparé à 1980, parvinrent à canaliser les aspirations et les frustrations d’une large partie de la population québécoise.
Le projet du camp du Oui reposait sur une démarche ambitieuse : faire du Québec un État souverain tout en maintenant une association économique avec le Canada. Cette stratégie visait à rassurer les électeurs qui craignaient une rupture trop abrupte avec la fédération canadienne. Le discours souverainiste était porté par des arguments convaincants. D’abord, la question de l’identité nationale occupait une place centrale. Les leaders du Oui insistaient sur la nécessité pour le Québec de prendre en main son destin pour protéger et promouvoir sa langue, sa culture et ses valeurs distinctes, jugées souvent menacées dans le cadre canadien. Ensuite, le contrôle économique était également un point crucial. Les souverainistes faisaient valoir que l’indépendance permettrait au Québec de gérer pleinement ses ressources naturelles, son budget et ses politiques économiques selon les besoins de sa population. De plus, ils soutenaient que la souveraineté donnerait au Québec les outils pour réaliser une justice sociale plus équitable en améliorant l’accès à des services publics de qualité en santé et en éducation. Enfin, l’idée d’un partenariat avec le Canada était présentée comme une solution pratique et harmonieuse, permettant de maintenir des liens étroits entre les deux entités tout en affirmant l’autonomie politique du Québec.
La campagne menée par le camp du Oui a surtout été marquée par une mobilisation exceptionnelle. Les partisans ont travaillé sans relâche pour convaincre les électeurs dans un climat politique hautement polarisé. Lucien Bouchard s’est énormément illustré par ses discours éloquents, souvent émotionnels, qui appelaient à la fierté nationale et à l’espoir d’un avenir meilleur pour le Québec. Ses interventions, diffusées largement dans les médias québécois et lors de rassemblements publics, ont été un facteur déterminant dans la progression du camp du Oui dans les sondages. Les jeunes étaient une cible stratégique de la campagne. Le camp du Oui a organisé de nombreux événements dans les écoles et les universités pour les sensibiliser à la cause souverainiste, misant sur leur énergie et leur enthousiasme. La campagne a été marquée par une présence militante importante sur le terrain, les militants parcourant villes et villages pour dialoguer avec les citoyens et distribuer du matériel d’information.
Le camp du Non au référendum de 1995
De l’autre côté, le camp du « Non » était mené par des figures politiques de niveau national de premier plan, notamment Jean Chrétien, alors premier ministre du Canada, Daniel Johnson, chef du Parti libéral du Québec et chef de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale, ainsi que des membres influents du Parti progressiste-conservateur et d’autres partis fédéralistes. Jean Chrétien, alors Premier ministre du Canada, jouera un rôle central dans la campagne du Non. Originaire lui-même du Québec, il se fit le porte-parole des francophones qui sont pour le fédéralisme. Daniel Johnson, quant à lui, insistait sur la nécessité de renforcer le statut du Québec au sein du Canada plutôt que de le quitter. Il soulignait, par exemple, les progrès réalisés dans les décennies précédentes pour accorder davantage de pouvoirs au Québec, comme les compétences en matière de culture. Le camp du non a surtout misé sur les risques économiques liés à la souveraineté. Par exemple, ceux-ci ont commandé des études prédisant une baisse du PIB québécois de 5 à 10 % en cas de séparation. Ceux-ci ont également mis en garde contre la perte potentielle de dizaines de milliers d’emplois, notamment dans le secteur manufacturier et les services financiers.
Outre les partis politiques, les médias canadiens jouèrent également un rôle déterminant dans la stratégie du camp du Non. Des publicités télévisées massives, des articles pro-non dans les journaux et des débats publics furent utilisés pour atteindre un large public. Ces communications avaient comme stratégie première de mettre en avant les succès du Canada en tant que pays uni et les contributions essentielles du Québec à cette réussite.
Un moment marquant de la campagne du « NON » fut le rassemblement massif à Montréal le 27 octobre 1995, surnommé le « Love-In ». Des dizaines de milliers de Canadiens, venant de toutes les provinces, convergèrent vers la métropole québécoise pour manifester leur soutien à l’unité nationale. Ainsi, cet événement hautement médiatisé visait à convaincre les indécis en leur montrant l’attachement du reste du Canada au Québec. Ce rassemblement, alors empreint d’émotion et de solidarité, fut perçu comme un dernier effort pour éviter la division du pays par les fédéralistes. A l’inverse elle fut ressentie comme une ingérence totale de la part du reste du Canada sur un référendum purement québécois. Symbole de cette mobilisation massive et coûteuse, le camp du parti Liberal canadien avait été accusé d’avoir loué à hauteur de 161 000$ un 747 d’Air Canada en provenance de Vancouver à des fins électorales.
Le 30 octobre 1995 au soir les résultats tombent. Ce résultat du référendum fut exceptionnellement serré : 50,58 % des Québécois votèrent Non, contre 49,42 % pour le Oui, avec un taux de participation record de 93,52 %. Cette soirée électorale, marquée par une tension palpable, révéla surtout une province profondément divisée presque à parts égales. Dans la soirée qui suivit la défaite, Jacques Parizeau prononça un discours qui fit scandale et marqua à jamais l’histoire du souverainisme québécois. Sous le coup de l’émotion, il dit : « C’est vrai qu’on a été battus ! Au fond, par quoi ? Par l’argent et des votes ethniques ». Des propos largement critiqués dans toute la sphère politique canadienne. Ce discours marqua un tournant dans sa carrière politique, menant à sa démission et à son remplacement par Lucien Bouchard. Ce moment marqua également une fracture durable au sein du mouvement souverainiste avec des personnalités soutenant ces propos comme Jacques Brassard. Jacques Parizeau reviendra par la suite sur son discours en déclarant « Pierre Elliott Trudeau a mis des centaines de Québécois en prison et, pourtant, c’est un grand homme. Moi, je me suis échappé un soir et je suis un moins que rien. »
À la suite du référendum, le gouvernement fédéral adopta en 2000 la Loi sur la clarté référendaire. Cette législation, introduite par le Premier ministre Jean Chrétien, vise à encadrer de futurs référendums sur la souveraineté. Ainsi, cette loi établit des règles précises, notamment l’exigence d’une question claire et non ambiguë soumise aux électeurs et surtout une majorité qualifiée pour valider un résultat signifiant donc qu’une victoire de 50 % + 1 de voix ne serait pas suffisante. Alors que la loi fut saluée par certains pour son rôle dans la préservation de l’unité canadienne, elle fut bien évidemment vivement critiquée au Québec, où elle fut perçue comme une ingérence dans les affaires provinciales. Pour plusieurs souverainistes du Parti Québécois, elle représentait une tentative d’Ottawa de limiter les aspirations légitimes du Québec à l’autodétermination.
La redéfinition du paysage démographique du Québec, un nouvel enjeu majeur
Depuis 1995, la composition démographique du Québec a considérablement évolué. L’immigration a joué un rôle central, en transformant la composition démographique de la province, celui-ci a redéfini la société québécoise. Aujourd’hui, près de 15 % de la population est née à l’étranger, et le Québec possède une immense dynamique migratoire car il accueille aujourd’hui plus de 54 % des demandeurs d’asile présents au Canada. Cette diversité ethnique et culturelle a rendu le projet souverainiste moins universellement attrayant. En effet, pour de nombreux immigrants, le projet indépendantiste reste une notion abstraite, étroitement liée à une histoire qui leur est souvent étrangère. Certains nouveaux arrivants perçoivent l’idée de souveraineté comme étroitement liée à une identité historique franco-catholique, peu en phase avec leur propre vécu. Beaucoup préfèrent ainsi un Québec intégré dans le Canada, perçu comme un modèle de stabilité, d’ouverture et de prospérité.
Par ailleurs, la montée de la diversité et du mondialisme a également amené une redéfinition de l’identité linguistique québécoise. La langue française, longtemps perçue comme le ciment de l’identité nationale, reste un enjeu central, mais elle est maintenant discutée dans le contexte multiculturel. «On s’anglicise, on s’américanise. C’est ce qu’on doit freiner comme gouvernement», avait alerté Jean-François Roberge, ministre de la langue française, qui avait ainsi déposé le 22 mai 2024 un rapport de l’Office québécois de la langue française (OQLF) sur l’évolution de la situation linguistique au Québec, se rapport montre par exemple que 42% des 18-34 ans utilisent l’anglais au travail et que seulement 60% des habitants de la ville de Montréal, la plus grande de la province, ont recours à la langue française en dehors de la sphère familiale. Une transformation linguistique qui inquiète bon nombre de québécois attachés à leur langue.
La question de la viabilité économique d’un Québec indépendant reste encore un argument clé dans le débat. En 1995, les opposants à l’indépendance mettaient en avant les risques financiers et les incertitudes économiques. Ces préoccupations sont toujours d’actualité, notamment avec la mondialisation et l’intégration accrue des marchés. Pourtant, Le PIB du Québec en 2022 atteignait 503 milliards de dollars canadiens, faisant de la province une puissance économique au sein du Canada (la seconde plus riche après l’Ontario). Mais le Québec dépend encore beaucoup des transferts fédéraux, qui représentaient environ 29,3 milliards de dollars en 2024. Une importante partie du Québec craint ainsi qu’en cas de souveraineté, le Québec n’arrive pas à maintenir son niveau de vie et ses services publics.
Le parti Coalition Avenir Québec, nouvel acteur majeur de l’échiquier politique Québécois
Symbole de ce changement en 30 ans, c’est aujourd’hui la Coalition Avenir Québec (CAQ), parti dirigé par François Legault, qui occupe aujourd’hui une place dominante dans la politique québécoise avec 86 députés à l’Assemblée québécoise sur 125. La création de la Coalition Avenir Québec (CAQ) survient en 2011 avec François Legault, ancien ministre du PQ, a marqué une redéfinition du nationalisme québécois. En effet, bien que François Legault soit un ancien ministre du PQ, la CAQ se prône ouvertement contre la souveraineté du Québec, optant plutôt pour une « réconciliation durable avec le reste du Canada ». En rompant avec la question de la souveraineté, la CAQ s’est donc positionnée comme un parti nationaliste modéré, attirant des électeurs déçus par le PQ et le Parti libéral du Québec (PLQ).
La Victoire de la CAQ en 2018 a ainsi représenté un tournant politique majeur. Le parti a adopté une posture nationaliste affirmée, mettant de l’avant des politiques centrées sur l’identité québécoise, comme la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21) qui permet de reconnaître le droit d’interdire le port de signes religieux aux juges, policiers ou enseignants dans l’exercice de leur fonction publique sans exception et une réforme de l’immigration. Sur le plan économique, la CAQ a misé sur la réduction de la bureaucratie et le soutien au développement régional, consolidant son image de parti de l’efficacité. Le Parti Québécois quant à lui, continue encore de promouvoir la souveraineté, bien que son influence ait fortement diminué. Aux élections provinciales de 2022, le PQ n’a remporté que 3 sièges à l’Assemblée nationale, son plus bas score depuis sa création en 1968. Ces 3 députés, surnommés les trois mousquetaires, ont d’ailleurs créé la polémique en refusant de prêter serment au roi Charles III lors de leur assermentation, préférant prêter serment uniquement au peuple québécois.
Vers un retour de l’identité souverainiste ?
Malgré un retour en force très récent du Parti Québécois sur la scène politique, les sondages révèlent un faible soutien pour l’indépendance. Selon un sondage récent de QC125, plus de 60 % des Québécois sont opposés à la souveraineté. Pour une majorité, le débat sur l’indépendance semble éloigné des préoccupations quotidiennes, supplanté par des enjeux économiques et sociaux immédiats.
Ainsi, près de trente ans après le référendum de 1995, la souveraineté du Québec semble être un rêve en veille, porté par un Parti Québécois encore affaibli et une population plus diverse et intégrée à la volonté de rester Canadien. Si la question reste vivante dans certains cercles, elle ne mobilise plus la majorité des Québécois. Entre les défis linguistiques et surtout identitaires, le débat s’est transformé, mais l’idée d’un Québec souverain semble s’éloigner de plus en plus des préoccupations quotidiennes des citoyens.
Adan Manceau.