Dans les coulisses de la politique allemande, des alliances informelles façonnent l’avenir des dirigeants et des partis. Parmi elles, une des plus célèbres et influentes reste l’Andenpakt (ou Pacte des Andes), un groupe secret de jeunes cadres de la CDU (Union chrétienne-démocrate d’Allemagne) qui ont formé une véritable fraternité politique. Son objectif ? Se soutenir mutuellement pour conquérir les postes clés du pouvoir.
L’Andenpakt trouve son origine en 1979 lors d’un voyage en Amérique du Sud organisé par un groupe de jeunes cadres de la CDU. Lors de cette excursion, plusieurs d’entre eux passent un accord tacite : ils s’entraideront tout au long de leur carrière politique pour conquérir des postes de pouvoir et peser sur l’avenir du parti. C’est de cette réunion informelle que naît le nom d’« Andenpakt » (Pacte des Andes). Si l’existence de ce pacte ne sera révélée au grand public que bien plus tard, il constitue une stratégie bien connue dans les sphères politiques : la construction d’un réseau d’entraide pour maximiser les chances d’atteindre des postes-clés.
Une alliance scellée dans les hauteurs Andines
C’était à la fin des années 1970, lors d’un voyage éducatif organisé par la Fondation Konrad-Adenauer pour les jeunes cadres de l’Union CDU/CSU. À bord d’un vol de nuit dans un Douglas DC-8, de Caracas à Santiago du Chili. « Enivrés par le whisky », ces jeunes hommes, membres d’une véritable loge politique, et ayant soif de pouvoir, rédigent un manifeste sur papier : « Inquiets pour la délégation de haut niveau et pour préserver la santé, nous nous unissons ici pour créer le Pacto Andino Segundo.» Le nom faisant référence à la communauté d’États sud-américaine du même nom.
Ce pacte scellé en 1979, au-dessus des sommets andins, allait marquer durablement la droite allemande. Plusieurs figures clefs en sont issues : Friedrich Merz, Roland Koch, Volker Bouffier, Matthias Wissmann, Franz Josef Jung, Peter Müller, Christian Wulff, Friedbert Pflüger ou encore Günther Oettinger. Beaucoup sont devenus ministres, ministres-présidents ou ont exercé de hautes fonctions européennes et fédérales. Une véritable génération d’élite conservatrice structurée dans l’ombre.
Leur objectif ? Peser sur les choix idéologiques et stratégiques de la CDU. À l’origine, cette alliance repose sur une certaine frustration : ces jeunes hommes ambitieux, écartés des cercles décisionnels dominés par les « anciens », souhaitent renverser les équilibres internes et rénover le parti de l’intérieur. Dans ce texte, ils réclamaient également « plus d’ambiance en politique ».
Une stratégie de conquête politique méthodique
Dès les années 1980, les « Andins » étendent leur influence à travers les sections locales, la Junge Union, les congrès régionaux, les commissions parlementaires. Leur cohésion est leur force : pas de rivalité interne, pas de divisions publiques. Cette discipline leur permet de se hisser aux postes de pouvoir sans se fragiliser mutuellement ; Roland Koch et Volker Bouffier dirigent la Hesse, Peter Müller la Sarre, Christian Wulff la Basse-Saxe, Oettinger le Bade-Wurtemberg. Franz Josef Jung devient ministre de la Défense, Wissmann ministre des Transports puis patron du lobby automobile, et Wulff atteint même la présidence fédérale. La CDU, en apparence hiérarchisée, est donc en réalité sous influence total d’un pacte secret qui structure ses choix internes.
Leur influence culmine dans les années 1990-2000. En 2002, ils soutiennent la candidature d’Edmund Stoiber (CSU) à la chancellerie. Ce soutient à Stoiber est surtout un moyen de bloquer l’ascension d’Angela Merkel à la tête du parti. Mais c’est elle qui, en 2000, hérite de la CDU après le scandale politique des caisses noires concernant un système de financement illégal du parti.
Merkel contre les Andins : la fracture idéologique
Issue de l’Est, hors des cercles de pouvoir masculins de l’Ouest, Angela Merkel n’est pas des leurs. Sa trajectoire atypique, sa rigueur scientifique et sa prudence politique s’opposent à l’assurance collective, parfois arrogante, des Andins. Elle incarne une CDU moins dominée par les réseaux traditionnels masculins de l’Ouest allemand, plus ouverte aux compromis, à l’Union européenne, et à une forme de social-libéralisme assumé.
Face à cette opposition incarnée par les figures du pacte, Merkel mène une stratégie froide et méthodique. Elle sait que le pouvoir réel au sein du parti passe par le contrôle des nominations, des structures fédérales, et surtout de la communication. Dès lors, elle isole les figures montantes du pacte, les prive de relais internes et les pousse à l’exil politique. Ainsi Friedrich Merz, alors étoile montante de la CDU et favori des milieux économiques, est écarté en 2002 de la présidence du groupe parlementaire au profit de Norbert Lammert, plus neutre. Ce choix marque un tournant : Merkel montre qu’elle ne reculera pas devant les poids lourds du parti. Merz, vexé, quitte (de manière provisoire) la vie politique en 2009, laissant Merkel maîtresse du jeu.
D’autres figures emblématiques comme Roland Koch ou Christian Wulff sont progressivement marginalisées. Le premier quitte la politique en 2010, le second tombe en disgrâce après un scandale médiatique. Seul Günther Oettinger parvient à se recycler à Bruxelles comme commissaire européen, échappant ainsi aux manœuvres berlinoises.
La fracture entre Merkel et les Andins est aussi doctrinale. Là où les Andins privilégient une politique libérale sur le plan économique et conservatrice sur le plan sociétal, Merkel opte pour une approche plus pragmatique, cherchant l’équilibre entre rigueur budgétaire, stabilité sociale et modernité politique. Elle ouvre la CDU à la société civile, à la cause climatique, et même à des thématiques longtemps absentes du discours conservateur traditionnel comme l’égalité des genres ou l’intégration des minorités. Cette orientation suscite le rejet des puristes, mais elle permet à Merkel de capter l’électorat centriste et de mener la CDU à quatre victoires fédérales consécutives. Le pacte, affaibli, semble dissous. Pourtant, son esprit ne disparaît jamais complètement.
Héritage, voyages secrets et nomination de Merz : la revanche des Andins
Le magazine Der Spiegel révèle l’existence du pacte en 2003. Le mystère se lève, mais le groupe continue de se réunir discrètement. Récemment encore, bien que politiquement à la retraite, plusieurs membres se retrouvent régulièrement pour des voyages à l’étranger. Rome, Prague et Bucarest… Ces retrouvailles, souvent soutenues par la Fondation Konrad-Adenauer, sont autant de symboles de la longévité de leur pacte. Un pacte qui, bien qu’informel, dépasse les mandats. L’un des rares encore actifs aujourd’hui : Friedrich Merz, redevenu président de la CDU et chef du groupe parlementaire, porte désormais seul l’héritage d’un pacte qui refusait de mourir.
Ainsi après des années passées dans l’ombre, Friedrich Merz, redevenu président de la CDU en 2022, est désigné candidat à la chancellerie. Le 17 février 2025, la CDU/CSU remporte les élections fédérales avec environ 28,8 % des voix, permettant à Merz de manière quasi certaine de devenir le futur chancelier du Pays. C’est la revanche d’un homme, et d’un groupe, longtemps marginalisés par l’ère Merkel.
L’ascension de Merz et la victoire de la CDU/CSU ont ravivé les discussions sur l’influence de l’Andenpakt. Ce groupe, formé à la fin des années 1970, a toujours prôné une ligne libérale-conservatrice. Avec Merz à la chancellerie, les idéaux et les réseaux de l’Andenpakt seront à coup sûr de nouveau au premier plan, suggérant une possible réorientation de la politique allemande vers des positions plus conservatrices sur les plans économique et social.
Conclusion
L’Andenpakt n’est pas seulement un secret bien gardé des coulisses de la CDU, c’est aussi un puissant révélateur des dynamiques internes des partis politiques modernes. Derrière les discours publics, les congrès et les élections, ce sont souvent des réseaux discrets et des alliances stratégiques qui façonnent réellement le futur de la politique. L’histoire de ce pacte, né dans les hauteurs des Andes, montre comment une poignée de jeunes ambitieux a, au fil des décennies, pris le contrôle de l’appareil du plus grand parti politique de l’Allemagne moderne.