Crise diplomatique entre l'Inde et le Canada
Depuis le 14 octobre, une grave crise diplomatique oppose New Delhi et Ottawa, qui ont procédé à des expulsions réciproques d’ambassadeurs et de diplomates de haut rang. Cette escalade fait suite aux accusations de la police canadienne, qui a affirmé le 18 septembre que l’Inde serait impliquée dans des actions criminelles sur le sol canadien, notamment dans l’assassinat de Hardeep Singh Nijjar.

Hardeep Singh Nijjar : Contexte d’un assassinat controversé
Hardeep Singh Nijjar, arrivé au Canada en 1997 et devenu citoyen en 2015, était l’un des leaders séparatistes sikhs, abattu en juin 2023 devant le temple sikh qu’il dirigeait dans la banlieue de Vancouver. Il militait pour la création d’un État sikh indépendant, appelé Khalistan, dans le nord de l’Inde. Depuis son assassinat, les relations entre le Canada et l’Inde se sont considérablement détériorées.
Pour information, environ 770 000 sikhs vivent au Canada, ce qui représente environ 2 % de la population. Le sikhisme, une religion monothéiste fondée au XVᵉ siècle dans la région du Pendjab en Inde, est aujourd’hui la cinquième plus grande religion au monde avec environ 30 millions de pratiquants, derrière le christianisme, l’islam, l’hindouisme et le bouddhisme.
Parmi les sikhs du Canada, une petite minorité serait impliquée dans des actions violentes en faveur de la création d’un État théocratique indépendant au Pendjab. Hardeep Singh Nijjar était considéré par l’Inde comme un « terroriste », au même titre que d’autres militants khalistanais dispersés à travers le monde.

Les réponses entre l’Inde et le Canada : le reflet
d’une crise diplomatique profonde
Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a affirmé : « l’Inde a fait une erreur monumentale en choisissant d’utiliser leurs diplomates et le crime organisé pour attaquer les Canadiens ». Il a déclaré : « Nous ne tolérerons jamais qu’un gouvernement étranger menace et tue des citoyens canadiens sur le sol canadien, ce qui constitue une violation inacceptable de la souveraineté du Canada et du droit international ».
Le Canada a par la suite expulsé six diplomates indiens, y compris l’ambassadeur à Ottawa, les soupçonnant d’être liés à cette affaire. En réponse, l’Inde a ordonné l’expulsion du haut-commissaire canadien par intérim, de son adjoint et de quatre autres diplomates, les obligeant à quitter le pays avant minuit le 20 octobre. Le ministère indien des Affaires étrangères a rejeté les accusations comme « absurdes », dénonçant une « stratégie de diffamation » orchestrée par Ottawa à des fins politiques. L’année dernière, l’Inde avait restreint l’octroi de visas aux Canadiens et avait déjà contraint le Canada à rapatrier certains de ses diplomates. En conséquence, le Canada avait rapatrié 41 de ses diplomates.
New Delhi affirme que ces allégations visent à détourner l’attention de la menace posée par les militants radicaux khalistanais, qu’elle accuse de menacer la souveraineté de l’Inde. Selon le ministère indien, le Canada abriterait des extrémistes sikhs responsables de discours haineux et de menaces contre les diplomates indiens.
En parallèle, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a révélé détenir des preuves d' »intimidation, harcèlement, extorsion et coercition » exercées sur le territoire canadien, liées à des agents du gouvernement indien. Le commissaire Mike Duheme a évoqué des « homicides et actes de violence » orchestrés dans le cadre de cette ingérence, ainsi que des activités clandestines de collecte de renseignements et d’interférences dans les processus démocratiques canadiens.
En novembre 2023, le ministère américain de la Justice a accusé un citoyen indien résidant en République tchèque d’avoir planifié une tentative d’assassinat similaire aux États-Unis, en affirmant qu’un responsable du gouvernement indien était impliqué.
Danish Singh, président de l’Organisation mondiale des Sikhs du Canada, a salué la décision du gouvernement canadien d’expulser les diplomates indiens, déclarant que ces révélations ne font que confirmer ce que la communauté sikh subit depuis des décennies.

Remise en contexte : La communauté sous pression et
fait pression
La communauté sikh est dispersée à travers le monde, notamment au Royaume-Uni, au Pakistan, dans les anciennes colonies britanniques, au Kenya, et ou encore en Indonésie. En Inde, on estime qu’ils sont nombreux dans la région de Delhi, représentant environ 2 % de la population nationale. Dans le Pendjab, le Canada est perçu comme une « Terre promise », et de nombreux jeunes sikhs aspirent à y immigrer. Cependant, avec les restrictions mises en place depuis 2023, ce rêve devient de plus en plus difficile à atteindre, voire irréalisable pour beaucoup.
Au Pakistan, la minorité sikh subit de fortes répressions depuis 2014, marquées par une insécurité croissante et des assassinats dits « ciblés ». Les sikhs afghans, quant à eux, sont persécutés par les islamistes et tentent de fuir le pays, souvent au risque de leur vie, s’ils ne sont pas déjà victimes de ces violences.
Depuis l’assassinat de Hardeep Singh Nijjar, l’attention s’est tournée vers la communauté sikh et son mouvement militant pour la création d’un État indépendant, le Khalistan, qui serait situé dans la région du Pendjab, en Inde, une région majoritairement sikh. Mathieu Boisvert, professeur au Département des sciences des religions à l’UQAM, explique que « l’émergence du mouvement khalistanais traduit le désir de créer un territoire pour les sikhs pendjabis, indépendant de l’Inde et du Pakistan ».
Ce mouvement trouve son origine dans la proclamation de l’indépendance de l’Inde et du Pakistan, le 15 août 1947. À cette époque, les deux pays ont hérité de vastes portions de la province du Pendjab, peuplée majoritairement par des sikhs de langue pendjabie.
En 2011, on estimait que 57,7 % de la population du Pendjab adhérait au sikhisme. De plus, cette région est historiquement un centre important de production agricole, notamment de blé. En 2020, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a rapporté que l’Inde avait produit près de 108 millions de tonnes de blé, ce qui en fait le deuxième plus grand producteur mondial après la Chine.
Selon Mathieu Boisvert, le mouvement pour la création du Khalistan est « intimement lié à l’histoire récente et émotionnelle de l’Inde ». Des événements tragiques, comme l’assassinat en 1984 de la Première ministre indienne Indira Gandhi et le crash du vol 182 d’Air India, attribué à des terroristes sikhs, ont terni l’image du mouvement et contribué à sa décrédibilisation.

Laura Taloc