Plus de 3 ans après le scandale AUKUS : l’Australie va-t-elle se (re)tourner vers la France pour de nouveaux sous-marins ?
2/ Le 5 décembre 2024, le think tank australien ASPI (Australian Strategic Policy Institute) référence dans le débat stratégique insulaire, a publié une note sur l’état du projet AUKUS.
3/ Face aux retards accumulés par leurs partenaires anglo-saxons, la proposition d’acquérir 12 sous-marins nucléaires français de classe « Suffren » est avancée.
4/ Pour rappel, la France et l’Australie avait signé en 2012 un partenariat stratégique menant à un contrant entre Naval Group et Canberra quelques années après.
5/Ce « contrat du siècle » (56 milliards d’euros) portait sur l’acquisition de 12 (modèle « Barracuda » diesel-électrique) avec transferts de technologie et production locale.
6/ Mais le 16 septembre 2021, le Premier ministre conservateur australien Scott Morrisson annonça la rupture unilatérale du contrat avec la France.
7/ Avec ses homologues britanniques et australiens, l’alliance AUKUS fut créée entre les trois pays, incluant la livraison de 8 sous-marins nucléaires par Londres et Washington à l’Australie.
8/ Ce revers inattendu entraîna une crise diplomatique entre la France et ses partenaires, ces derniers ayant négocié à huit clos.
9/ Malgré plusieurs « signaux faibles » avant la rupture, Paris et Naval Group furent abasourdis par cette défection, la crise n’étant résolue qu’au bout de plusieurs mois et une compensation pour l’industriel (555M€).
10/ La création de cette alliance s’inscrit directement dans la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine dans la zone IndoPacifique.
11/ Dans ce contexte, Washington cherche à s’assure le soutien étroit de ses alliés britanniques et australiens via des transferts de technologie et de matériel militaire.
12/ La livraison de sous-marins nucléaires marque un tournant géopolitique, car contraire au principe de non-prolifération des traités internationaux (comme le TNP).
De plus, de tels appareils vont à l’encontre des engagements australiens sur ses engagements anti-nucléaires.
13/ Aujourd’hui, le revirement australien dans l’affaire AUKUS fait l’objet de nombreuses critiques, y compris au sein de la classe politique et militaire de Canberra.
Syndrome de la « peur de l’abandon », dépendance aux Etats-Unis, retards dans les livraisons, vulnérabilité : plusieurs éléments sont avancés.
14/ Menée par le journaliste australien Andrew Fowler, l’enquête « Nuked » a pointé du doigt l’abus de pouvoir de Scott Morrisson.
15/ En trompant la France puis l’opposition sur les questions de sécurité nationale, l’ancien dirigeant a manœuvré pour aligner la politique étrangère nationale sur les intérêts étatsuniens.
16/ L’enquête révèle les mensonges volontaires des autorités australiennes à leurs homologues françaises, qui rappelaient l’importance pour Paris d’avoir une présence stratégique dans l’IndoPacifique.
17/ Autre découverte, l’une des conditions des Etats-Unis pour la livraison de ces sous-marins est leur utilisation en mer de Chine méridionale et non à la défense des eaux australiennes, affaiblissant la sécurité nationale.
18/ D’autres difficultés industrielles sont en cours dans les livraisons étatsuniennes et britanniques.
L’industrie navale des Etats-Unis peine à honorer ses commandes (capacité de production insuffisante, manque de main d’œuvre, supply chain fragilisée) et les livraisons à l’US Navy sont priorisées.
19/ Ainsi, les livraisons à l’Australie initialement prévues dès 2030 (pour les premiers appareils) ont déjà plusieurs années de retard.
Les difficultés budgétaires et industrielles de Londres et Washington pourraient encore allonger ce délai.
20/ Face à ce constat, la note de l’ASPI appelle à « engager un programme commun franco-australien de construction d’un plus grand nombre de sous-marins ».
L’auteur concluant : « Difficile, stimulant et politiquement courageux ? Certainement. Mais pas aussi improbable que d’obtenir des sous-marins sous AUKUS dans les délais. »
21/ De son côté, Paris ne ferme pas la porte à d’éventuelles discussions avec Canberra autour d’une offre sérieuse, malgré la rupture de confiance et la perte de crédibilité australienne.
Paradoxalement, l’industriel Naval Group a su profiter de certains effets positifs après un tel revers.
22/ A l’époque, certaines voix s’étaient élevées avant la rupture du contrat pour dénoncer les transferts de production consentis aux australiens et la production locale.
Avec la rupture, Naval Group a pu préserver sa propriété intellectuelle et récupérer des compensations (bien qu’inférieures au montant du contrat).
23/ L’industriel naval continue d’intéresser de nombreux pays, comme le prouve les récents succès à l’export (Grèce, Inde, Pays-Bas, Argentine).
Le coup porté à Paris, jugé trop autonome par les Etats-Unis, a rassuré des partenaires asiatiques soucieux de garantir leur indépendance face à Pékin, sans dépendre de Washington
24/ Pour conclure, le revers AUKUS contre Paris fragilise aujourd’hui l’Australie, qui se retrouve en situation de dépendance vis-à-vis des Etats-Unis et sans garantie de recevoir ses sous-marins.
25/ Une nouvelle proposition auprès de Naval Group n’est pas à écarter, selon la position des autorités française pour une telle demande.
Leo Bourret