Russie, les dessous d’Evgueni Prigojine, autrement dit le “boucher de Vladimir Poutine”
Juin 2023, quelques mois après l’offensive russe, le monde découvre un homme dont peu n’imagine profondément l’importance et le pouvoir qu’il a acquis au fil du temps. Retraçons ensemble le portrait d’un simple chef de cuisine devenu l’homme à tout faire de Vladimir Poutine.
Né au début des années 1960 à Leningrad, Evgueni Prigojine est très tôt élevé seulement par sa mère et sa grand-mère en raison du décès prématuré de son père. Dès l’adolescence, il commet ses premiers délits. À 18 ans, il est condamné à deux ans de prison avec sursis pour avoir été pris en train de voler. Deux ans plus tard, en 1981, il est de nouveau pris en flagrant délit de vol et condamné à douze ans de prison pour “escroquerie”, impliquant plusieurs autres mineurs. Avec des complices, il est également reconnu coupable d’avoir cambriolé des appartements dans des quartiers huppés. À sa sortie de prison en 1990, n’ayant pas réalisé son rêve d’enfance de devenir skieur de fond professionnel, il ouvre un fast-food.
Peu à peu, il fait fortune dans l’alimentaire et ouvre des restaurants réputés à St-Pétersbourg. C’est dans ces restaurants qu’il fait la rencontre du chef du Kremlin. Une rencontre qui ne sera pas qu’amicale, mais déterminante pour l’avenir. Au début des années 2000, reflétant bien sa proximité avec Poutine, il aura l’occasion de servir des chefs d’États comme Jacques Chirac ou George W. Bush. Celui que l’on surnomme également le “cuisinier de Poutine” voit sa fortune s’envoler grâce à l’acquisition de 5 000 contrats d’une valeur totale de 2,3 milliards d’euros au début des années 2010, selon le “Current Time”.
Ces contrats ont été obtenus grâce au pouvoir russe, lorsque son entreprise de restauration décroche d’importants marchés, dont celui pour la restauration de l’armée russe. De plus, ces contrats stipulent qu’il a obtenu la gestion de l’approvisionnement des cantines scolaires et l’organisation des banquets du Kremlin. Durant presque une décennie, Prigojine entreprend de nouveaux projets. En 2013 il créait “l’Internet Research Agency”, une officine de désinformation russe, plus communément appelée “usine à trolls”.
Ces dernières servent à diffuser des informations fausses ou clivantes et des messages soutenant la propagande gouvernementale du Kremlin. En février 2018, Prigojine, ses entreprises Concord Management and Consulting, Concord Traiteur et l’Internet Research Agency, sont inculpés par un grand jury américain, principalement pour leur rôle dans l’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine de 2016. Leur campagne sur les médias sociaux visait à promouvoir la candidature de Donald Trump contre celle d’Hillary Clinton.
Prigojine est inculpé en tant que principal dirigeant de l’IRA. En mars 2020, le ministère de la Justice américain a finalement décidé de lever les accusations contre Concord Management and Consulting. Un changement qui suscite beaucoup de questions et d’incompréhension. Un an plus tard, en 2014, il fonde Wagner, une organisation militaire spécialisée dans le mercenariat.
Contrairement à ce que beaucoup de gens ignorent, il ne sera pas seul. Autre personnage important de Wagner est Dimitri Outkine, défini comme le leader de terrain de la milice. Ancien officier du GRU, il a servi comme lieutenant-colonel. Néonazi proclamé et admirateur d’Adolf Hitler, il est accusé de crimes de guerre, commis notamment en Syrie, et fait l’objet de sanctions internationales. Cette organisation va énormément servir le pouvoir russe et sa stratégie d’influence mondiale. Ses mercenaires, qui sont des gens que nous n’aurions pas aimé croiser dans la rue, sont actifs en Syrie, en République centrafricaine et au Mali. Plusieurs enquêtes ont montré qu’à la fin des années 2010, en s’appuyant sur ses officines d’influence (trolls) et sur 100 à 200 consultants politiques et mercenaires du groupe Wagner déployés en Afrique par Prigojine, il a pu soutenir, renforcer ou établir de nombreux réseaux de lobbying russe.
Ces réseaux semblent servir des intérêts politiques intérieurs et extérieurs russes, influençant les élections dans une vingtaine de pays, via des stratégies numériques et d’autres interventions russes dans la politique africaine, tout en fomentant des sentiments anti-occidentaux et/ou en ravivant de vieux conflits territoriaux.
En Ukraine, des milliers de combattants Wagner, recrutés dans des prisons russes, sont déployés après l’invasion du pays par la Russie en février 2022. En raison de fortes tensions avec l’état-major russe, demandant notamment plus de munitions et d’armes pour ses hommes, ce dernier déclenche une rébellion armée le 23 juin 2023. Cette rébellion surprise a démontré aux yeux du monde la vulnérabilité de Vladimir Poutine. Une image de toute-puissance et d’incivilité ternie, qui plus est, par l’un de ses plus anciens fidèles.
Cette incursion en territoire russe prend fin le lendemain, après un accord avec le Kremlin prévoyant l’exil de Prigojine en Biélorussie (et sûrement d’autres cachés). Rapidement, l’ancien agent du KGB va qualifier son ancien cuisinier de “traître à la nation” lors d’un discours.
Comme tout ennemi menaçant l’influence et le pouvoir du dirigeant russe, le criminel de guerre va trouver la mort le 23 août 2023, lors d’un crash d’avion en compagnie de neuf autrespersonnes, dont notamment le numéro deux de la milice, Dimitri Outkine.
Les causes de ce crash vont longtemps rester en suspens. Quatre mois après l’accident, “The Wall Street Journal” affirme qu’un engin explosif aurait été posé sous une aile de l’avion privé. Evgueni Prigojine aurait donc été victime d’un attentat. “Le Wall Street Journal” avance que cet assassinat du chef de Wagner aurait été minutieusement préparé sur une période de deux mois et aurait reçu l’approbation de Nikolai Patrushev, un proche collaborateur de Vladimir Poutine, rapporte “Zinfos974”. Des “révélations” que Moscou balaie d’un revers de main.
Le Kremlin accuse le journal de publier des affabulations. Accusé par les pays occidentaux seulement quelques minutes après le crash, deux mois après, le président russe Vladimir Poutine a laissé entendre que la destruction de l’avion avait été provoquée par l’explosion de grenades à bord, rejetant la thèse d’un tir de missile, relayée notamment par les renseignements américains.
Simon Richard