Mémoire de recherche - Alexandre Hallard.Le déploiement de la diplomatie israélienne aux Émirats, à Bahreïn et au Maroc : Les Accords d’Abraham, symbole nouvel équilibre géopolitique au Moyen-Orient.

Résumé

Nous pouvons considérer le Moyen-Orient comme un épicentre de la géopolitique mondiale. Les conflits y sont nombreux, les jeux d’alliances omniprésents où les intérêts valent souvent davantage que la défense d’un idéal de paix. Depuis la création de l’État d’Israël le 14 mai 1948, la zone est plus que jamais en tension, s’accompagnant de guerres, d’intifada et d’attentats. Une situation très conflictuelle s’est installée entre l’État hébreu et ses voisins. Différentes guerres ont opposé les arabes face aux israéliens de 1948 à aujourd’hui. Cependant, des avancées vers la prospérité et la coopération, par différents accords de normalisation des relations diplomatiques voient le jour. Généralement sous l’égide des États-Unis d’Amérique, à l’image des Accords d’Abraham, qui participent à instaurer un nouveau paradigme, dépassant les précédentes oppositions, et se rapprochant vers une situation moins en tension pour bâtir un avenir en commun. C’est cette ambition qui lie les signataires des accords d’Abraham, à savoir, Israël, ainsi que le Maroc, les Émirats Arabes Unis et le Royaume de Bahreïn.

          Ce jour du 15 septembre 2020, les accords d’Abraham sont signés à Washington. Ils offrent une nouvelle donne géopolitique dans la région. L’objectif est clair : favoriser la coopération en matière économique, commerciale, diplomatique et militaire pour servir un idéal de paix. Derrière ces accords de normalisation et de coopération voulus par le Président Donald Trump, c’est aussi un bloc qui s’unit face à plusieurs menaces notamment l’Iran. C’est notamment dans ce cadre que l’Arabie Saoudite était proche de rallier les Accords d’Abraham en 2022, juste avant la réponse israélienne aux attaques terroristes perpétrées par le Hamas le jour du 7 octobre.

            Les Accords d’Abraham signent une nouvelle page de coopération entre des pays arabes et Israël, acteur désormais incontournable dans la région. C’est aussi une stratégie politique et militaire pour la prospérité qui vise à s’installer au Moyen-Orient.

Introduction

« Déterminés à assurer une paix, une stabilité, une sécurité et une prospérité durables », tel est inscrit de cette manière au sein du texte des Accords d’Abraham, une ambition commune pour la région. Signés le 15 septembre 2020 à Washington DC, sous l’égide du Président Donald Trump, qui marque alors un grand coup dans sa stratégie diplomatique concernant le Moyen-Orient. Cette initiative diplomatique ambitieuse répond à un besoin pressant de stabilité dans une région marquée par des décennies de conflits, d’alliances fluctuantes et de tensions identitaires. Israël, État indépendant, proclamé par David Ben Gourion le 14 mai 1948, bascule dans une ère de coopération avec plusieurs pays arabes, dont le Royaume de Bahreïn et les Émirats Arabes Unis. Les Émirats Arabes Unis et Bahreïn ont précédemment été opposés à Israël notamment en 1973, lors de la Guerre du Kippour en s’alliant avec les pays de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) à un embargo contre Israël et ses alliés. Depuis 1979 et la révolution islamique iranienne, la montée en puissance de la menace commune, l’Iran, ainsi que la volonté de coopérer pour davantage de prospérité, ont amené ces pays et Israël a reconsidéré ses relations. Le Maroc s’est également inscrit dans cette démarche en rejoignant les accords. La normalisation diplomatique est au cœur de la stratégie de la politique étrangère israélienne car elle est gage de paix. Les accords de Camp David de 1978 puis le traité de paix de 1979 entre Israël et l’Égypte, ainsi que le traité de paix israélo-jordanien de 1994 sont aujourd’hui un succès pour la paix dans la région. C’est dans cette voie que s’inscrit à présent Israël et ses voisins arabes. Les Accords d’Abraham représentent donc bien plus qu’une simple déclaration diplomatique : ils incarnent une nouvelle vision stratégique pour le Moyen-Orient, mêlant coopération économique, rapprochement culturel et coordination sécuritaire. Le Maroc, en rejoignant cette dynamique, renforce ainsi le cadre de ces accords. Nous pouvons nous poser la question suivante : Comment, par les accords d’Abraham, Israël déploie sa diplomatie au Moyen-Orient et en dehors, lui permettant ainsi, de renforcer son poids politique et de se détacher de son isolement historique ? Pour répondre à cette problématique, nous aborderons d’abord la nouvelle page de coopération en matière culturelle, diplomatique, commerciale et économique entre les puissances signataires puis nous verrons en quoi ces accords sont d’une importance prioritaire pour Israël face à l’ennemi commun, l’Iran.

I.              Les accords d’Abraham : une nouvelle ère de coopération régionale

Les accords d’Abraham fondent leur stratégie de prospérité sur la vision des libéraux en matière de relations internationales, c’est-à-dire favoriser la paix par les échanges, par le commerce, par les intérêts économiques et culturels. C’est dans ce cadre que ces accords sont, avant tout, une porte ouverte aux échanges dans de multiples domaines.

La puissance des échanges commerciaux face les conflits

« L’esprit du commerce ne peut exister sans la paix, et il est incompatible avec la guerre ».[1] Emmanuel Kant. Jared Kushner, architecte américain des accords, conseiller et gendre du Président des États-Unis Donald Trump, a fondé l’équilibre de ces accords avec le commerce et le progrès par les échanges. Au sein des accords, de nombreux thèmes de coopération sont évoqués : Finance et investissement ; Aviation civile ; Visas et services consulaires ; Innovation, commerce et relations économiques ; Soins de santé ; Science, technologie et utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique ; Tourisme, culture et sports ; Énergie ; Environnement ; Éducation ; Accords maritimes ; Télécommunications et services postaux ; Agriculture et sécurité alimentaire ; Eau ; Assistance judiciaire[2]. Le Royaume de Bahreïn et les Émirats Arabes Unis sont deux pays qui se développent par le commerce et par leur ouverture sur le monde. Ils ne sont pas aveuglés par une idéologie islamique comme en Syrie, ni très heurté par les conséquences de la politique israélienne en Cisjordanie et à Gaza. Le premier pilier des échanges commerciaux entre Israël et les Émirats Arabes Unis est un accord de libre-échange[3] « Accord de partenariat économique global »[4] supprimant les droits de douanes sur 96% des marchandises échangées. Signé en 2022 et entrée en vigueur le 1er avril 2023, cet accord favorise grandement les échanges commerciaux en matière d’agriculture, de cosmétique, de médicaments, etc.[5] Cet accord de libre-échange vise un chiffre de 10 milliards de dollars d’échanges entre les deux pays à horizon 2030. Le montant des échanges a déjà bien augmenté avant cet accord, en 2020, il était de 633 millions de dollars. En 2022, 3,47 milliards de dollars entre les 3 puissances signataires de l’accord en excluant le commerce du pétrole. Les Émirats Arabes Unis sont passés du 89ème partenaire commercial d’Israël à 18ème en seulement deux ans. Un autre point important des échanges entre les deux pays est l’augmentation du tourisme. Le nombre de touristes israéliens vers les Émirats Arabes Unis est passé de 28 000 en 2020 à 470 000 en 2022. Une augmentation fulgurante qui ne porte pas ses fruits dans l’autre sens. En effet, le nombre de touristes émiratis vers Israël n’a augmenté que de 1700 passant de 3500 à 5200 entre 2020 et 2022.[6] L’augmentation du tourisme se manifeste notamment par l’ouverture d’une liaison aérienne[7] entre Dubaï et Tel Aviv. En septembre 2020, la compagnie israélienne El Al ouvre sa ligne, puis en juin 2024, Emirates, la célèbre compagnie dubaïote effectue son premier vol commercial. Ce sont des vols désormais quotidien qui s’effectuent entre les deux pays. L’ambition commerciale israélienne derrière les accords d’Abraham est d’étendre ce modèle de libre échange et de tourisme avec d’autres pays à majorité musulmane notamment à 11 autres pays dont l’Arabie Saoudite, Oman, l’Ouzbékistan, le Pakistan, l’Indonésie et la Mauritanie, ce qui pourrait, selon une estimation[8], rapporter 1 trilliard de dollars et créer des millions d’emplois dans la prochaine décennie dans les différents pays. Les accords d’Abraham ouvrent également la voie de la coopération avec d’autres pays. C’est dans ce cadre que les Émirats Arabes Unis ont usé de leur diplomatie avec les États-Unis pour la signature d’un accord exceptionnel d’échange d’électricité contre de l’eau entre la Jordanie et Israël[9]. Le Royaume de Jordanie s’engage à construire une centrale solaire pour fournir Israël en électricité contre de l’eau. La Jordanie étant touchée par un stress hydrique particulièrement important, qui continue de s’aggraver à cause du réchauffement climatique qui l’amplifie. Le partenariat entre les pays signataires des Accords d’Abraham est aussi déterminant en temps de crise pour acheminer les marchandises notamment face à la menace des Houthis, groupe terroriste au Yémen, qui s’efforce de perturber le commerce dans la région pour déstabiliser l’Europe et Israël. Le 9 février 2024, les Émirats Arabes Unis, Bahreïn et Israël ont mis en place des routes commerciales terrestres[10], pour éviter le passage maritime de la route du Canal de Suez. Ces routes relient les émirats au principal port d’Israël situé à Haïfa par l’intermédiaire de la Jordanie et l’Arabie Saoudite. Les convois sont assurés par des moyens de transport israéliens et émiratis. Une coopération qui découle directement des accords d’Abraham qui facilite le dialogue entre ces pays et organise une habitude d’entraide face aux crises. L’implication de la Jordanie et surtout de l’Arabie Saoudite marque aussi une certaine avancée dans la coopération commerciale avec ces pays du Golf, qui pourrait un jour, se joindre aux accords d’Abraham. Israël est devenu depuis les années 2000, un hub du développement des start-up et l’un des leaders en développement de logiciels et d’intelligence artificielle. La course à l’intelligence artificielle domine actuellement les discussions de la Silicon Valley à Shanghai. Dubaï et les émirats arabes unis veulent s’intégrer dans cette course en favorisant notamment les partenariats avec Tel Aviv. Une ambition, devenir une start-up nation[11]. Omar Bin Sultan Al Olama, ministre d’État, ministre de l’intelligence artificielle a dès décembre 2020 engagé des partenariats[12] avec Israël saluant le modèle de l’État hébreu en matière de développement de l’IA avec une volonté commune de concurrencer les géants. Dans un autre domaine de la société, en 2023, PureHealth, la plus grande plateforme de soins de santé émiratis comprenant plus de 25 hôpitaux et 100 cliniques a signé un partenariat stratégique[13] avec le plus grand hôpital israélien : le Sheba. L’accord se concentre sur la collaboration pour l’amélioration des soins de santé et l’innovation notamment en matière d’intelligence artificielle.

La stratégie diplomatique israélienne vise aussi à étendre les accords d’Abraham au-delà du Proche-Orient. Dans ce cadre, le Maroc a notamment rejoint les accords en décembre 2020, tout comme le Soudan. Le Maroc est le pays qui connaît le plus grand essor économique du Maghreb et est devenu un partenaire incontournable avec Israël en matière économique, politique et militaire. La normalisation des relations israélo-marocaine est née pour de plusieurs raisons. D’abord, par le lien entre les peuples[14]. La population marocaine est encore peuplée par plusieurs milliers de juifs, et la population israélienne est en partie origine des terres du Maghreb notamment du Maroc où musulmans et juifs ont vécu ensemble en paix pendant des siècles. Ensuite, le poids économique des deux pays amène à favoriser des intérêts économiques et commerciaux permis par une normalisation. Enfin, une clause primordiale pour le Maroc dans la normalisation avec Israël était la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental par la première puissance mondiale et principal allié d’Israël, les États-Unis[15]. La coopération avec le Maroc s’effectue également par la voie judiciaire. Effectivement, l’exemple de Nassim Kalibat[16] est représentatif du dynamisme de la relation israélo-marocaine. Nassim Kalibat est un Israélien, recherché dans une affaire de terrorisme qui a fui vers le Maroc. La justice marocaine a accepté en 2024 la demande d’extradition formulée par Israël, malgré qu’il n’y ait pas d’accord d’extradition prévu dans les accords d’Abraham, une preuve de la vision ambitieuse du Maroc sur leur nouvelle relation avec l’État hébreu. Le Roi Mohammed IV affiche également un soutien presque décomplexé à la normalisation des relations diplomatiques. L’arrestation et la condamnation à 5 ans de prison d’Abderrahmane Zankad[17], un islamiste marocain, pour les motifs d’offense au roi après avoir dénoncé la normalisation avec Israël démontre d’un soutien politique. Sur le volet du tourisme, Le Maroc a reçu plus de 200 000 touristes israéliens[18]. Pour améliorer la relation bilatérale, de nombreuses délégations marocaines se sont rendues en Israël à travers le principal syndicat patronal pour développer les investissements et les échanges entre les deux pays, qui prévoient de quadrupler le montant des échanges commerciaux à hauteur de 500 millions d’euros. Également, le secteur du traitement de l’eau est au cœur de la coopération, notamment avec l’entreprise Névatim, l’un des leaders mondiaux d’origine israélienne qui continue son développement sur le territoire marocain.

Israël, puissance régionale aux nombreux atouts économiques et commerciaux, de la technologie au militaire, en passant par une filière agricole très développé, signe ainsi des partenariat cruciaux pour son avenir géopolitique avec des puissances de poids, notamment les Émirats Arabes Unis, connus pour son influence, ses innovations et ses ressources en hydrocarbure. Il est dans l’intérêt d’Israël de trouver des alliés dans la région pour sortir de son isolement diplomatique et renforcer son poids commercial. Son déploiement diplomatique s’étend même jusqu’au Maghreb avec un nouvel allié, le Maroc.

Les avancées diplomatiques et les échanges culturels, construire un respect commun entre civilisations.

La normalisation des relations diplomatiques entre les pays signataires des accords d’Abraham impulse une volonté de coopérer dans les différents domaines de la société. La première étape d’une normalisation est l’établissement des ambassades et de services consulaires dans les pays signataires. Cela constitue le troisième point[19] du texte des accords. Dans ce cadre, le 24 janvier 2021, Israël a annoncé l’ouverture de son ambassade[20] aux Émirats Arabes Unis à Abou Dhabi avec ainsi l’installation de la première équipe consulaire. De leur côté, les Émirats ont inauguré leur ambassade[21] à Tel Aviv le 14 juillet 2021 en présence du Président Israélien Herzog. Israël a également inauguré une ambassade à Manama, au Bahreïn en septembre 2023 et réouvert son bureau diplomatique à Rabat en 2021. L’établissement d’ambassades est une étape indispensable dans une procédure de normalisation de relations diplomatiques et favorise les échanges politique, économique et culturel entre deux pays.

« C’est presque une règle générale que partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce ; et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces »[22]. Charles de Montesquieu.

La prospérité voulue par les accords d’Abraham se traduit aussi pour les différents acteurs de progresser dans la compréhension de l’histoire et de la culture de l’autre. Les cas émiratis sont particulièrement intéressant où depuis 2020, l’ouverture vers la culture juive et hébraïque se fait de façon régulière et publique.

Les échanges culturels sont un point indispensable des accords d’Abraham. Il est souvent admis que ces accords profitent uniquement aux élites à défaut de la population au sein des Émirats Arabes Unis, ou encore au Maroc. Le peuple marocain a par exemple exprimé ses distances avec le projet de normalisation des relations avec Israël. On estime qu’uniquement 30% de la population marocaine seraient favorables à cette normalisation[23]. Une population qui se mobilise régulièrement à l’occasion de manifestations contre la politique israélienne à Gaza et en Cisjordanie. Des manifestations qui s’intensifient depuis les exactions israéliennes à Gaza depuis les attentats du 7 octobre 2023. Ainsi, derrière les échanges culturels, l’objectif est de favoriser un changement de mentalité pour plus de paix entre les civilisations et servir les intérêts politiques, économiques, militaires et commerciaux. L’un des moyens régulièrement utilisés pour favoriser ce respect des peuples est la religion notamment aux Émirats Arabes Unis. Quelques mois après la signature des accords à Washington D.C., les Émirats Arabes Unis ont installé une ménorah géante, symbole de la religion juive pour les fêtes d’Hanukkah, devant la plus grande tour du monde présente à Dubaï, Le Burj Khalifa[24]. Un évènement marquant pour la population juive qui s’est déplacé par milliers venu d’Israël pour profiter de ce moment à Dubaï. Le 14 mai 2023, à l’occasion des 75 ans de l’indépendance de l’État hébreu, une cérémonie publique réunissant plusieurs centaines de personnes a été organisé à Dubaï[25]. Une première dans un pays arabe. Enfin, en janvier 2023, Ahmed Obaid Al Mansoori, fondateur du musée émirati Carrefour des civilisations, pour célébrer le passé historique de coexistence entre juife et arabe dans la région a exposé un rouleau de la Torah sauvé de la Shoah[26]. Un geste très symbolique qui démontre une évolution lente mais certaine des mentalités dans les différents milieux des Émirats Arabes Unis.

Du côté israélien, Benyamin Netanyahu s’efforce de maintenir de bonne relation. En mai 2024, le cabinet du premier ministre israélien s’est publiquement excusé devant la population marocaine après avoir diffusé par erreur lors d’une interview vidéo avec la télévision française, une carte du Maroc n’incluant pas le Sahara Occidental au sein du territoire marocain[27], alors que cette reconnaissance était la condition principal à la normalisation des relations. En septembre 2023, le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant et le premier ministre Benyamin Netanyahu avaient proposé l’aide d’Israël face au séisme destructeur survenu au Maroc[28]. « Nous aiderons de toute les manières possibles » avait déclaré Netanyahu.

Malgré une prédominance des échanges commerciaux dans les accords d’Abraham comme faiseurs de paix, les échanges culturels et les travaux diplomatiques ne sont pas à négliger pour entretenir des relations qui peuvent se retrouver dans des situations d’instabilités, au moins tant que les questions sur la situation humanitaire en Palestine et sur les mentalités des pays arabes ne sont pas résolus. Nous pouvons affirmer que ces accords entrainent le Moyen-Orient vers davantage de prospérité et de développement économique, qui sert, in fine, les différents peuples aussi hétérogènes qu’ils puissent être. Cependant, il reste une dimension primordiale à étudier à propos des accords d’Abraham. La mise en place de ces accords trouve son origine dans la menace que représente l’Iran et la volonté de certains pays arabes de trouver davantage d’autonomie et de puissance militaire face aux différentes menaces régionales, c’est dans ce cadre qu’une relation privilégié s’est nouée entre les puissances signataires des accords.

II.         Les enjeux sécuritaires comme moteur des accords d’Abraham.

Derrière les accords d’Abraham, un certain nombre de partenariats militaires ont été mis en place entre Israël et les pays arabes signataires des accords. L’objectif est de développer le secteur de la Défense israélien, un point important pour son hard power et sa balance commerciale. Également, on retrouve une volonté commune d’avancer vers un bloc sécuritaire contre l’Iran.

Les partenariats stratégiques et militaires.

Le secteur de la Défense israélien est un poids lourd dans la balance commerciale israélienne. Il représente en 2023 un total de 13 milliards de dollars. Israël se maintient à la 9ème place des pays qui exportent le plus d’armes[29]. Spécialisé dans l’exportation de drones de reconnaissance et de combat, de missiles, de roquettes, de systèmes de défense anti-aériens ainsi qu’en logiciels d’espionnage. En 2022, sur l’ensemble du montant des explorations d’armes israéliennes (12,5 milliards de dollars), les Émirats Arabes Unis, le Maroc et Bahreïn représentent 24%[30] de ce montant, soit une augmentation de 700% depuis 2020 avec la signature des accords d’Abraham puisque ces deux pays arabes ne représentaient alors que 3% des explorations d’armes. Cette fulgurante augmentation n’a été permise que grâce à la signature des accords de normalisation. L’innovation technologique israélienne est très recherché dans les acheteurs d’armes, qui ne se laisse pas aveugler par une quelconque idéologie.

Le Maroc est devenu depuis 2020 un partenaire incontournable en matière de Défense pour Israël. Vente d’armes, de logiciels, de système de défense, les exemples sont nombreux. En juillet 2024, deux satellites espions Ofek 13[31] de construction israélienne aurait été acheté par le Royaume de Mohammed VI, un contrat estimé à 1 milliard de dollars. Le satellite Ofek 13, dont la mission principale est le renseignement en orbite basse, vise à remplacer l’actuel arsenal du Maroc composé d’engins français de Thalès et Airbus. La coopération s’étend même à la construction d’une usine de drones militaires israéliens sur le sol marocain[32], donc au porte de l’Algérie, ennemi commun des deux pays. Enfin, Israël est l’un des leaders mondiaux en termes de logiciels d’espionnage comme le célèbre Pegasus de l’entreprise NSO. Le logiciel Pegasus, conçu pour espionner des groupes terroristes, est désormais régulièrement utilisé pour surveiller des journalistes et des gouvernements. Le Maroc a été accusé d’avoir espionné le Président de la République française, Emmanuel Macron par l’intermédiaire de Pegasus[33].

La coopération militaire entre les Émirats Arabes Unis et Israël s’intensifie depuis plusieurs années. De la même manière que le Maroc, les Émirats sont soupçonnés d’utiliser le logiciel Pegasus pour un montant de 900 millions de dollars. Ils sont également un acheteur incontournable des armes israéliennes. Elbit System[34]s, géant de l’armement israélien a également ouvert une division aux Émirats, un contrat de 53 millions d’euros. L’EDGE (Emirates Defense Industries Company), la compagnie de fabrication de matériel militaire émiratis et IAI (Israel Aerospace Industries), la principale entreprise de construction aéronautique israélienne seraient en train de travailler ensemble pour le développement d’un système anti-drone. En 2023, les deux entreprises ont déjà dévoilé le fruit de leur coopération avec la présentation du premier navire de surface sans pilote (USV), qui vise à participer à la lutte anti-mine maritime notamment.

Avec Le Royaume de Bahreïn, un accord de défense[35] a été signé avec Israël un an après les accords d’Abraham. L’ancien Ministre de la Défense israélien Benny Gantz avec la 5ème flotte américaine s’est déplacé dans la capitale Manama pour célébrer cette avancée inédite au Moyen Orient pour la diplomatie israélienne. La cause de cet accord est notamment les tensions avec l’Iran ainsi que les groupes Houthis du Yémen. L’Arabie Saoudite et les États-Unis dénoncent des activités hostiles par les autorités iraniennes comme du détournement de navires et du transports de matériels militaires destiné à des groupe armés dans les eaux du Golfe. Depuis cet accord, un responsable militaire de haut rang s’est installé à Bahreïn de façon permanente[36]. La coopération militaire semble continuer de se développer entre le Royaume et l’État hébreu.

Par les accords d’Abraham, Israël déploie sa diplomatie en matière de coopération militaire et en vente d’armes pour continuer d’être un leader mondial. Israël est déjà le leader régional dans la vente d’armes.

Obstruction de la cause palestinienne par création d’un bloc sécuritaire face à la menace iranienne.

La principale menace à l’existence d’Israël est devenu depuis 1979, l’Iran. L’Iran qui a développé ses succursales pour attaquer l’État hébreu à travers le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien qui a organisé les attentats du 7 octobre. La menace iranienne n’inquiète pas uniquement Israël. L’Arabie Saoudite, Bahreïn, Jordanie, Émirats Arabes Unis font également partie des pays opposés à l’Iran, autant pour des motifs religieux étant donné l’opposition entre chiisme et sunnisme, que par des motifs sécuritaires, l’Iran étant considéré comme une puissance régionale à tendance belliciste. Les différents partenariats militaires et stratégiques entre Israël et Bahreïn visent directement l’Iran, tout comme avec les Émirats Arabes Unis. Deux pays qui se sentent concernés par le menace iranienne, duquel émane les tensions présentes dans les mers du Golfe. La menace iranienne est telle que le MOSSAD, l’agence de renseignement israélienne partage régulièrement des informations avec les services émiratis notamment au sujet du détroit d’Ormuz contre des attaques potentielles des convois dans ce passage stratégique du commerce mondial et des échanges en hydrocarbures, des pays de la péninsule arabique à l’Europe, en passant par Israël[37]. Le soutien des milices chiites du Yémen comme les Houthis figurent également dans les thèmes centraux qui participent au développement de la défense émiratis en collaboration avec l’État hébreu.

A cause des enjeux liés à la menace iranienne, la cause palestinienne est la grande oubliée des accords. Les Émirats Arabes Unis, en pleine stratégie de realpolitik, ont complètement invisibiliser la Palestine dans ses discours et ses actes[38]. Les pouvoirs émiratis ont bloqué toute sanction commune contre Israël lors du grand sommet arabo-musulman de Riyad de 2023 en réaction aux agissements israélien à Gaza depuis le 7 octobre. En plus de la relation nouée par les accords d’Abraham, cette décision s’explique notamment par les mauvaises relations entretenues entre l’autorité palestinienne et les Émirats ainsi que la vision très péjoratives du pouvoir des émirats à propos des groupes islamistes comme les Frères Musulmans. Bahreïn soutient la pleine reconnaissance de l’État de Palestine et son adhésion » à l’ONU. Cependant, cela n’impacte pas les relations bilatérales entre les pays signataires des accords d’Abraham. Le Maroc, à l’image des autres pays des accords, n’impacte pas la relation avec Israël, malgré le bilan humanitaire à Gaza à la suite de l’intervention israélienne. Cependant, le pays connait des manifestations importantes de sa population contre la normalisation, qui ne plait encore qu’aux élites au Maroc. En réponse, le gouvernement marocain continue d’envoyer de l’aide à Gaza, en passant par le territoire israélien.

Les accords d’Abraham sont assurément motivés par la volonté de créer un front commun face à l’Iran. Ce front commun se matérialise par des partenariats stratégiques en matière de défense notamment par la vente d’armes. Des partenariats qui mettent en second plan la cause palestinienne, pourtant populaire dans les pays arabes.

 

Conclusion  

Les accords d’Abraham ouvrent véritablement un nouveau paradigme au Moyen-Orient. Ils permettent à Israël de déployer sa diplomatie aux Émirats Arabes Unis, au Maroc et à Bahreïn. Ces accords visent à s’étendre à d’autres pays notamment à l’Arabie Saoudite dont l’adhésion a été repoussée par les attaques terroristes du 7 octobre. Les échanges commerciaux et les traités diplomatiques entre les pays signataires sont la première étape vers une région plus prospère et plus pacifique. Ils permettent à chaque pays de continuer le développement de leurs économies et de leurs industries. Ces accords permettent aussi à Israël de se séparer progressivement de son isolement diplomatique, une stratégie ressentie jusqu’au sommet arabo-musulman par les décisions émiratis. Ces accords d’Abraham s’expriment aussi par des partenariats militaires et stratégiques entre les puissances signataires. La menace iranienne est au cœur des préoccupations pour Israël et ses nouveaux alliés. Les tensions continuent de s’intensifier, ce qui favorise la coopération technologique et militaire entre Israël et les pays arabes. De plus, cette menace iranienne et les intérêts économiques et militaires entre les pays signataires permet d’occulter la cause palestinienne, à savoir la reconnaissance de l’État de la Palestine. Cette conséquence voulue par Benyamin Netanyahu, s’inscrit dans une nouvelle vision pour le Moyen-Orient où la Palestine n’est plus la priorité des pays arabes. Mohammed Ben Salmane, Prince héritier et Premier Ministre saoudien semble aussi se tourner vers cette nouvelle réalité qui façonne désormais les relations internationales. Les accords d’Abraham demeurent une avancée pour la paix et la prospérité du Moyen-Orient, une région, sans cesse touchée par des guerres et des conflits depuis des décennies.

Article de recherche par Alexandre Hallard

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[1] Emmanuel Kant, Vers la paix perpétuelle, 1795

[2] Nations Unies. Accords d’Abraham : Traité de paix, de relations diplomatiques et de normalisation entre les Émirats Arabes Unis et l’État d’Israël. 2020

[3] L’Orient-Le Jour, « L’accord de libre-échange entre Israël et les Émirats entrera en vigueur le 1er avril », 25 mars 2022

[4] WAM, « Les Émirats arabes unis signent un accord commercial avec Israël », 24 novembre 2020

[5] Al Jazeera, « Israel and UAE agree on milestone free trade deal”, 1er Avril 2022.

[6] « Accords d’Abraham : quel bilan, 3 ans après ? », L’Orient-le Jour, YouTube, publiée le 15 septembre 2023.

[7] Air Journal, “Emirates se pose enfin à Tel Aviv ». 24 juin 2022.

[8] HAL Open Science “The Abraham Accords Report”, 24 mai 2024.

[9] The Washington Institute for Near East Policy, « UAE to Fund Israel and Jordan’s Solar/Water Deal », 2023

[10] Courrier International, « Commerce. Tensions en mer Rouge : la solution des corridors terrestres passant par Israël et le Golfe » 9 février 2024.

[11] Abramundi, « Émirats Arabes Unis : la prochaine Start-Up Nation ». Salomé Nabeth.

[12] The Times of Israël : « Ministre émirati : Les partenariats avec Israël en IA sont « un besoin indéniable » ». Jake Epstein. 7 décembre 2020.

[13] i24NEWS, « Israël : Sheba s’associe à la plus grande plateforme de soins de santé des Émirats »,

[14] IRIS, « Maroc : la politique de normalisation avec Israël mise à mal par la guerre » David Rigoulet-Roze.

[15] Alexandre Hallard, « Visite d’État du président Macron au Maroc », Atum Mundi

[16] The Times of Israël : « Coopération judiciaire historique entre Israël et le Maroc, avec une première extradition ». 20 décembre 2024.

[17] The Times of Israël : « Maroc, 5 ans de prison pour un islamiste ayant dénoncé la normalisation avec Israël ». AFP, 9 avril 2024.

[18] Gide, « Les relations Maroc-Israël : décryptage des tendances du marché » 11 avril 2023.

[19] Nations Unies, Accord d’Abraham : Traité de paix, de relations diplomatiques et de pleine normalisation entre les Émirats arabes unis et l’État d’Israël, 15 septembre 2020, p. 30.

[20] Le Monde, « Israël ouvre une première ambassade aux Émirats arabes unis », 24 janvier 2021

[21] France 24, « Les Émirats Arabes Unis inaugurent leur première ambassade en Israël », 14 juillet 2021.

[22] Montesquieu, « De l’esprit des lois » (1748), Livre XX, Chapitre 1.

[23] Le Monde, « Au Maroc, la rue se mobilise pour Gaza, le pouvoir maintient sa coopération avec Israël », 8 octobre 2024

[24] RFI, « Hanouka, la fête des lumières juive : un coup de pouce pour le tourisme à Dubaï », 10 décembre 2020

[25] i24NEWS, « Le jour de l’indépendance d’Israël célébré à Dubaï pour la première fois »

[26] Times of Israel, « Un musée de Dubaï expose un rouleau de Torah sauvé de la Shoah »

[27] Times of Israel, « Netanyahu s’excuse d’avoir montré une carte du Maroc sans le Sahara occidental » 31 mai 2024.

[28] Times of Israel, « Séisme au Maroc : Israël propose son aide, Gallant s’entretient avec son homologue »

[29] Pieter d. Wezeman, Katarina Djokic, Mathew George, Zain Hussain and Siemon t. Wezeman, “Trends in international arms transfers 2023”. Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), Mars 2024.

[30] Times of Israel. Les ventes d’armes battent les records pour la 3e année d’affilée : 13 mds de $ en 2023. 2023

[31] Le Monde. Le Maroc s’offre deux satellites israéliens de dernière génération. 2024

[32] TSA Algérie. Israël entame la construction d’une usine de drones militaires au Maroc. 2024.

[33] https://information.tv5monde.com/afrique/cyberespionnage-le-maroc-pointe-du-doigt-dans-laffaire-du-logiciel-israelien-pegasus-35599

[34] L’Express. Les Émirats arabes unis et Israël dévoilent leur premier navire sans pilote. 2022.

[35] L’Orient-Le Jour. Dans le Golfe, le ministre israélien de la Défense appelle à la coopération. 2022.

[36] RFI. Israël nomme un responsable militaire de haut rang à Bahreïn. 2022

[37] Libnanews. Émirats et Israël : de la coopération discrète à une alliance stratégique suite aux accords d’Abraham. 2023.

[38] L’Express. Face au Hamas, le discret soutien des Émirats arabes unis à Israël. 2024.

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