Selon les derniers résultats, le candidat pro-russe et populiste, Călin Georgescu, serait arrivé en tête des élections avec 22,59 % des voix. À sa suite, avec 19,17 % des voix, la centriste de droite et ex-journaliste Elena Lasconi. À la troisième place, le Premier ministre social-démocrate et pro-européen Marcel Ciolacu, pourtant considéré comme le favori des élections d’après les sondages, est éliminé avec peu d’écart à 19,15 % des voix.
Mais alors, comment expliquer le succès inattendu de Georgescu ?
Călin Georgescu a su, ces derniers temps, séduire le peuple roumain en colère, notamment avec une campagne sur TikTok devenue virale, focalisée sur la nécessité de stopper l’aide à l’Ukraine et l’appel à un nouveau gouvernement. Sur le réseau social, il accumule plus de 3,4 millions d’abonnés. Il affirme suite à sa victoire : « Ce soir, le peuple roumain a crié pour la paix. Et il a crié très fort, extrêmement fort. »
Le premier tour des présidentielles roumaines se retrouve donc bouleversé par Georgescu, qui a entièrement basé sa campagne électorale sur les réseaux sociaux, n’était soutenu par aucun parti ni médiatisé par les grandes chaînes et médias publics nationaux, ce qui explique qu’il ait pu prendre de court les sondages.
Cependant, sa campagne sur les réseaux sociaux a également attiré l’attention des autorités roumaines. l’Agence nationale roumaine de surveillance et de réglementation des communications (Ancom) a déposé, quatre jours après les résultats, une requête pour l’interdiction de TikTok sur le territoire. La présidence dénonce un traitement préférentiel en faveur du candidat qualifié, Călin Georgescu, sur TikTok. On constate que plusieurs milliers de comptes ont participé à la promotion du candidat ultra-nationaliste. Plusieurs influenceurs roumains ont présenté leurs excuses pour avoir promu Georgescu contre de l’argent.
Le député d’extrême droite arrivé en deuxième position au scrutin, Cristian Terheș, accuse certains partis d’avoir poursuivi leur campagne sur les réseaux sociaux après le délai autorisé. La Cour constitutionnelle a ordonné, ce jeudi 28 novembre, un recomptage des voix du premier tour de l’élection.
Maintenant que Georgescu bénéficie de la médiatisation nécessaire pour faire entendre ses idées, il reste à voir qui le peuple roumain choisira le 8 décembre, au second tour des présidentielles.

Qui est Călin Georgescu ?
Pourtant pas inconnu de la classe politique, il a occupé plusieurs postes au ministère de l’Environnement roumain dans les années 90. Il a également eu deux postes aux Nations Unies : directeur exécutif de l’Institut de l’indice mondial de durabilité et délégué au sein du programme pour l’environnement.
Pour ce qui est de ses opinions, bien qu’il puisse être globalement relativement vague, il a publiquement fait l’éloge de l’ancien dictateur roumain et collaborateur nazi Ion Antonescu ou encore de Vladimir Poutine, le considérant comme l’un des « rares vrais dirigeants du monde ». Il a remis en question l’adhésion du pays à l’OTAN, remettant en cause le fait que le pays serait protégé militairement en cas d’attaque. Il a aussi qualifié le bouclier antimissile balistique de l’OTAN en Roumanie de mesure de confrontation, plutôt que pacifique, s’alignant ainsi aux déclarations de Poutine.
Sur sa politique intérieure, il souhaite réduire la dépendance de la Roumanie aux importations et soutenir davantage les agriculteurs locaux. Ce soutien aux classes populaires pourrait expliquer ce score au premier tour des élections, considéré comme une protestation et une révolte de la population roumaine face à l’establishment.
Le système politique roumain
Le pouvoir politique instauré en Roumanie est réparti entre le parlement (composé de la Chambre des députés et du Sénat) et deux assemblées renouvelées tous les 4 ans. Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans et, tout comme en France, ses fonctions restent limitées.
Pourquoi la population roumaine est-elle en colère ?
Pour information, depuis la révolution roumaine de 1989, le pays a établi une république pluraliste et démocratique. Plus tard, le pays rejoindra l’Union européenne en 2007.
En 2015, l’incendie dans la discothèque Colectiv à Bucarest a fait 64 morts et environ 150 blessés. Ce drame a mis en lumière une problématique présente en Roumanie : l’accès aux soins nécessaires, notamment dans les hôpitaux.

Les hôpitaux du pays ont en effet commencé l’année 2024 avec des pénuries de ressources humaines et des dettes accumulées, ainsi contraints de reporter certains soins et opérations non urgentes, ou de demander aux patients d’acheter eux-mêmes des médicaments et divers matériaux sanitaires. À ce manque de ressources s’accumule l’exode des médecins roumains du fait des salaires bien trop bas. L’éducation en Roumanie reste alarmante malgré les politiques de relance avec environ 50 % d’alphabétisation seulement. Pour répondre à ces questions, de nombreuses manifestations, notamment de professeurs, ont eu lieu ces dernières années.
En 2023, lors d’intenses manifestations à Bucarest, rassemblant des milliers d’enseignants, l’une d’entre eux affirme : « À la télévision, ce ne sont que des paroles, des promesses et rien de concret. » Ils critiquaient également le manque de confiance envers le gouvernement et le non-respect des politiques des lois.

En effet, tandis que le secteur de la santé agonise depuis de nombreuses années, en janvier 2017 déjà, l’ordonnance 13 avait provoqué une crise politique majeure et des manifestations massives. L’ordonnance 13 visait à modifier le Code pénal et le Code de procédure pénale, notamment en décriminalisant les abus de pouvoir si les dommages causés étaient inférieurs à 200 000 lei (correspondant à environ 44 000 €). Face aux pressions populaires, médiatiques et internationales, le gouvernement avait finalement fini par abroger l’ordonnance 13 en février de la même année.
Ce cas a vivement contribué à fragiliser la légitimité du gouvernement en place de l’époque, provoquant des changements gouvernementaux pendant plusieurs années suivant les événements.
La Roumanie n’a pas été épargnée par les conséquences de la pandémie de la COVID-19. La pandémie a, dans le pays, été très mal encadrée. Le président roumain, Klaus Iohannis, a nommé le général Nicolae Ciucă pour mieux gérer la situation déjà sous tension, suite aux mesures de restrictions et de confinement prises par le gouvernement qui avaient provoqué des manifestations. La gestion de la pandémie avait en effet été critiquée et le général Ciucă en est même venu à mobiliser l’armée pour gérer la situation.

Photo du géneral Nicolae Ciucă, Premier ministre en décembre 2020, puis de novembre 2021 à juin 2023.

Photo du président roumain actuel Klaus Iohannis.
Une tendance à la corruption et à l’autoritarisme ?
La nomination de Nicolae Ciucă n’a pas été la seule mesure prise par le gouvernement de Klaus Iohannis à avoir suscité de vives critiques. Dans le contexte où les Roumains avaient, aux dernières élections, choisi Iohannis pour faire barrage au PSD, un parti souvent impliqué dans des scandales de corruption, le parti du président, le PNL, et le PSD sont parvenus à un accord pour diriger le pays ensemble. Il a été convenu que le Premier ministre et d’autres ministères soient changés tous les 1 an et demi. Le président critiquait pourtant entre 2018 et 2020 le parti PSD, pour finalement lui partager les portes du pouvoir… Beaucoup de Roumains partisans du PNL ont perçu cette alliance comme une trahison, alimentant donc la méfiance populaire qui règne dans le pays envers les élites politiques.
Pour ne pas arranger la situation, en mai 2023, le président Klaus Iohannis louait avec de l’argent public des avions de luxe, avec au total pour ses déplacements une somme s’élevant à 550 000 €. Suite à la publication des preuves de ces dépenses, le président s’est justifié face aux journalistes qui le questionnaient sur ces dépenses par : « C’est la loi. » Iohannis est connu pour être le président roumain qui communique le moins avec les médias et le peuple. Une partie, si ce n’est une grande partie, de Roumains considèrent qu’en Roumanie, la loi n’est pas respectée.
Pour clôturer le tout, en 2021, dans le contexte toujours de la pandémie de la COVID-19, le président Iohannis a affirmé suite à la désignation de Nicolae Ciucă au poste de Premier ministre que la Roumanie avait besoin d’un gouvernement jouissant de pleins pouvoirs. Deux semaines auparavant, le parlement censurait le gouvernement libéral de Florin Cîțu après qu’un de ses alliés avait accusé Iohannis d’autoritarisme.

Laura TALOC