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En vue des négociations pour la résolution du conflit armé dans l’Est de la RDC, se tenant parallèlement à Doha au Qatar et à Washington aux États-Unis, les ministres des Affaires étrangères de la République Démocratique du Congo et du Rwanda sont parvenus à un accord, le vendredi 27 juin au ministère d’État américain. Un accord portant sur le retrait des forces rwandaises, la neutralisation du FDLR ainsi qu’un accord minier dans lequel les États-Unis cherchent à faire plier les différents belligérants, tout en obtenant davantage de parts dans le secteur. Lors de ces négociations, portant principalement sur la présence du Rwanda sur le territoire de la RDC et le FDLR, il y a un grand absent : le M23 et l’AFC, principal groupe rebelle engagé dans des affrontements violents avec la RDC depuis plusieurs années. Ainsi, quelles sont les chances de réussite de cet accord, et pourquoi les États-Unis tiennent-ils à la paix dans cette région ?

Le M23 : grand absent des négociations

Première problématique, l’implication rwandaise dans les affrontements. En effet, si de nombreux chercheurs et organisations internationales accusent le Rwanda de soutenir l’AFC dont fait partie le M23, le Rwanda n’a toujours pas affirmé son implication. Or, c’est bien entre le M23 et les forces armées de la RDC que les affrontements sont les plus violents, depuis sa création en 2012, avec une recrudescence des affrontements à partir de 2021. Ainsi, le cessez-le-feu risque de manquer sa cible, laissant au M23 la possibilité de poursuivre ses activités sans risque de perdre directement son soutien rwandais. Il sera donc compliqué d’imaginer une fin rapide à ce conflit, tant que l’Alliance Fleuve Congo (AFC) ne sera pas prise en compte comme acteur à part entière, et tant que le Rwanda n’aura pas été reconnu par toutes les parties (y compris les États-Unis) comme soutien du M23. En effet, comme le souligne le journaliste et fondateur du média Afrikarabia, Christophe Rigaud, le M23, pourtant majeur dans ce conflit, n’est pas pris en compte dans les négociations. Ainsi, imaginer une paix durable sans que le M23 soit mentionné ou pris en compte lors des négociations n’a que peu de chance d’aboutir. Et si en 2013, certains accords avec le Rwanda avaient permis d’affaiblir le mouvement rebelle, la configuration actuelle du conflit change en réalité beaucoup de choses. À ce jour, le M23 est plus puissant, détient des régions stratégiques allant jusqu’au Sud-Kivu, notamment l’aéroport de Kumavu, possède davantage d’alliés politiques le soutenant dans son projet de rébellion et évidemment possède davantage de moyens de financement, émanant notamment de la prise de certaines mines dans les régions du Nord et Sud-Kivu, particulièrement des minerais de coltan et d’or, sans compter l’évolution du nombre d’effectifs. Le manque d’inclusivité des accords de paix dans ce conflit a déjà montré ses faiblesses. Les précédents accords de paix dans lesquels le M23 n’était pas intégré n’ont pas montré d’efficacité claire, pour cause, on estime à près de 12 le nombre de cessez-le-feu ayant été violés depuis 2021. Inversement, à la suite d’un accord en 2013, avec près de 11 États d’Afrique centrale et australe, le Congo avait opéré des négociations directes avec le M23 et le Rwanda, des négociations qui ont menées à un apaisement pendant près de 8 années, avant que les affrontements reprennent en 2021.

Rapidement, des opposants politiques du gouvernement de la RDC, comme le président Joseph Kabila (ayant récemment montré un certain rapprochement avec l’AFC depuis son retour par Goma, principale ville du Nord-Kivu), expliquent que, selon eux, cet accord n’est rien qu’un accord économique, sans réelle chance de faire évoluer la situation dans la région. Donc au-delà du fait que le M23 et l’AFC n’aient pas été pris en compte dans les négociations, les soutiens de la cause du M23 et le mouvement lui-même ne se sentent pas concernés par ce dernier, et les négociations avec la RDC, notamment opérées à Doha au Qatar, sont encore à ce jour au point mort. L’ambition rebelle de l’AFC et du M23 ne fait que grandir. Corneille Nangaa, le représentant de l’AFC, a déjà exprimé la possibilité d’aller « jusqu’à Kinshasa » pour faire aboutir leur projet politique. Ainsi, tant que cette entité ne sera pas prise en compte dans les négociations, elles n’auront que peu de chance d’aboutir.

Évolution de la situation ces derniers mois :

Pour donner une rapide explication des dernières évolutions géostratégiques de ce conflit, en janvier 2025, le M23 a pris la ville de Goma (principale ville de l’est de la RDC, dans la province du Nord-Kivu). Cette ville a été un terrain d’affrontement principal depuis près de 30 ans, et particulièrement depuis la création du M23. Aujourd’hui, le M23 est plus puissant, a plus de moyens financiers, plus d’effectifs et de soutiens politiques avec l’AFC. Ce dernier a poursuivi sa percée dans la province du Sud-Kivu, en prenant notamment l’aéroport de Kumavu, situé près de la ville de Bukavu, et a pris également cette ville en février 2025. Le même mois, le M23 a été accusé d’être à l’origine de la mort de plus de 150 femmes, violées et brûlées vives après la mise à feu de la prison de Munzenze, à la suite de l’évasion des prisonniers au début du mois de février. Dans la même période, le représentant de l’aile politique du M23, l’Alliance Fleuve Congo, Corneille Nangaa, a exprimé vouloir faire de Goma son siège, et continuer la rébellion sur l’ensemble du territoire congolais, justifiant son action comme un acte de rébellion visant à libérer les populations du joug du gouvernement congolais. En mai dernier, l’ancien président de la RDC, Joseph Kabila, a fait son retour sur le territoire congolais, après un an d’exil en Angola. Il a fait son retour par Goma, ville possédée par le M23. Un message politique fort, marquant son soutien au groupe rebelle de l’AFC/M23, ce qui a été affirmé par Corneille Nangaa. Si le concerné n’a pas exprimé de soutien concret, ce retour passant d’abord par Kigali puis Goma montre clairement un rapprochement avec les groupes rebelles, se plaçant dans un projet politique plus large d’opposition politique, et a présenté sa volonté de vouloir participer à « la résolution de la crise en RDC » et condamne la « dictature » du gouvernement de Félix Tshisekedi. C’est donc dans ce cadre que vont évoluer les discussions à Doha au Qatar et à Washington aux États-Unis. Ainsi, l’accord trouvé semble surprenant avec une situation aussi complexe et au point mort, d’autant plus que l’AFC-M23 est mis de côté dans les négociations. De nombreux chercheurs et spécialistes de la région estiment les chances de paix faibles à la suite des négociations.

L’accord en question :

Lorsque l’on regarde l’accord en question, on se rend compte qu’il cible précisément des groupes rebelles rwandais présents en RDC, comme le FDLR (Front démocratique de libération du Rwanda), ordonnant un départ de ces groupes du sol congolais, autorisant leur neutralisation et laissant la possibilité au Rwanda d’un rapatriement des membres du FDLR, en plus de retirer les troupes officielles Rwandaises. Le FDLR est un groupe rebelle importants dans la région, ayant comme projet politique la rébellion envers la RDC et le gouvernement Rwandais ; il a été créé en 2000. Répertorié par la résolution 2078-2012 des Nations Unies, il est accusé d’être à l’origine de nombreux crimes de guerre (viols, pillages, meurtres de masse…) par de nombreuses ONG comme Amnesty International (rapport de 2010) ou encore Human Rights Watch (12 janvier 2010). Ce groupe a été fondé par des rebelles et réfugiés rwandais principalement Hutus, et opposés au régime Tutsi du Rwanda depuis l’arrivée au pouvoir du FPR de Paul Kagame en juillet 1994. Ainsi, il est considéré dans cet accord comme le principal groupe à éliminer car il est ciblé aussi bien par le gouvernement de la RDC que du Rwanda. Le Rwanda justifie ainsi la présence de son armée sur le territoire congolais pour lutter contre le FDLR. Le retrait des troupes rwandaises est donc demandé, et la neutralisation du groupe rebelle également. Cependant, considérer que la neutralisation du FDLR est la seule solution pour résoudre le conflit n’est pas productif. En effet, si elle peut permettre de limiter la présence de l’armée rwandaise sur le territoire congolais, le soutien rwandais sera toujours présent vis-à-vis du M23, qui reste à ce jour le groupe armé rebelle le plus important et le plus puissant de la région.

Pourquoi les États-Unis ont-ils intérêt à une paix dans la région entre les deux États ?

Bien qu’une douzaine de cessez-le-feu aient été violés depuis 2021, la présence américaine peut être vue comme un changement important dans les négociations. En parallèle des discussions à Doha avec la RDC (sans son voisin rwandais), les États-Unis, cherchent à obtenir un deal et un apaisement des tensions fondé sur la répartition des ressources minières congolaises, un secteur dans lequel la Maison Blanche aimerait beaucoup s’investir au vu de la forte présence chinoise dans la région. En effet, les entreprises Chinoises représentent près de 80% des exportations du cuivre et du cobalt congolais. Ainsi, en créant une chaîne d’approvisionnement passant par l’extraction en RDC et le raffinage au Rwanda, les États-Unis cherchent à concerner les différents acteurs par les gains potentiels d’une chaîne de production partagée. Le problème est que les principales mines, notamment celles de la zone de Rubaya, sont présentes dans le Nord et le Sud-Kivu, à ce jour possédés par le M23. Ainsi, il est difficile d’imaginer le mouvement rebelle céder à ce genre de proposition, d’autant plus qu’ils n’ont pas été intégrés dans les négociations. Faire plier le Rwanda, vis-à-vis du M23, en proposant un plan économique alléchant sur les minerais peut fonctionner, mais dans la mesure où le Rwanda soutient le M23 sans l’assumer vis-à-vis de la communauté internationale, alors cela semble être un partenariat pour le moment perdant pour le Rwanda, qui poursuivra sa collaboration avec le M23, bien plus rentable, laissant la situation inchangée. Peu de temps après cet accord, le président Donald Trump a affirmé « nous allons avoir des minerais venant du Congo », les intentions américaines dans la région sont donc claires : chercher la paix et la sécurité dans la région pour pouvoir s’y investir face à la concurrence chinoise dans ce secteur et en tirer profit. Après cette déclaration, le président de la RDC, Félix Tshisekedi, a réaffirmé que personne ne mettra la main sur les minerais congolais, encore moins hors du cadre d’un accord.

 

Acronymes 

RDC : République Démocratique du Congo

FDLR : Front Démocratique de Libération du Rwanda

M23 : Mouvement du 23 mars

AFC : Alliance Fleuve Congo

FPR : Front Patriotique Rwandais

 

Bibliographie :

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AUBIN, S, (2025, 27 juin), « Accord RDC-Rwanda à Washington : l’Amérique peut-elle réconcilier Kigali et Kinshasa ? », France 24. https://www.france24.com/fr/afrique/20250627-accord-rdc-rwanda-washington-am%C3%A9rique-peut-elle-r%C3%A9concilier-kigali-et-kinshasa

FRANCE 24, (2025, 27 mai), « RD Congo : Joseph Kabila de retour à Goma, selon le M23 et l’entourage de l’ancien président » [Vidéo],YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=8MlBV4KwS0E

NJIE, P, (2025, 28 juin), “Scepticism in Goma over peace deal between DR Congo and Rwanda”. https://www.bbc.com/news/articles/ckg3721np9go

ORBOIN, M, (2025, 30 juin), « République démocratique du Congo et Rwanda : le M23 grand absent de l’accord de paix signé entre les deux pays », TV5MONDE – Informations. https://information.tv5monde.com/afrique/republique-democratique-du-congo-et-rwanda-le-m23-grand-absent-de-laccord-de-paix-signe

“Peace Agreement Between the Democratic Republic of the Congo and the Republic of Rwanda – United States Department of State”, (2025, 27 juin). United States Department Of State. https://www.state.gov/peace-agreement-between-the-democratic-republic-of-the-congo-and-the-republic-of-rwanda/

WELLE, D. (2013, 24 février). Accord pour la paix en RDC, DW.com. https://www.dw.com/fr/accord-pour-la-paix-en-rdc/a-16625078

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