En 2024, l’Afrique australe a été le théâtre de nombreuses élections aux enjeux forts. 8 des 16 pays de la sous-région ont appelé leurs populations aux urnes, avec près de 63 millions de personnes inscrites sur les listes électorales. Quels changements à venir dans une région où nombreux sont les partis libérateurs, jouissant d’une forte popularité dans les années 80 et 90 ?

Qu’en est-il de cette popularité aux yeux d’une population qui voit leur pays de plus en plus touché par l’inégalité, la défaillance des services publics et dans certains cas, la violence généralisée ? La région, considérée comme la plus « prospère » sur le plan économique de l’Afrique, entre dans une phase de tension sur le plan politique. Que ce soit en Afrique du Sud, où l’ANC a vu sa majorité absolue remplacée, pour la première fois depuis 30 ans par une majorité relative, ou encore au Zimbabwe, où la ZANU-PF, parti au pouvoir depuis près de 43 ans continue de bloquer l’alternance politique, nombreux sont les pays dans lesquels ces élections représentent une porte de sortie pour des populations affaiblies.
Une contestation sociale se fait ressentir, remettant en cause la dominance des partis libérateurs des anciennes colonies, pointant du doigt la faiblesse de ces derniers pour répondre aux besoins sociaux. 

Dans cette analyse, seront abordés différents points. Tout d’abord, une vue d’ensemble des élections, de leurs résultats et de ce qu’elles représentent à l’échelle des pays concernés. Par la suite, sera abordée la thématique des partis libérateurs et de leur position dans la politique actuelle de l’Afrique australe. Des partis forts, dont la présence jusqu’à aujourd’hui était incontestée, se voient pour la première fois remis en question. Pour terminer, nous parlerons des évolutions à prévoir dans le cadre de la remise en question de ces partis par les élections.

Afrique du sud :

Pour entamer cette analyse, commençons par l’Afrique du Sud. Puissance majeure de l’Afrique australe et représentante de l’Afrique sur la scène internationale, de par sa présence au sein des BRICS, l’Afrique du Sud a connu des élections générales historiques en mai 2024. Pour la première fois de son histoire, l’African National Congress (ANC), parti historique dont Nelson Mandela a été le fier représentant, voit son score descendre sous la barre symbolique des 50 %. Les élections en Afrique du Sud ont déjà fait l’objet d’une analyse, disponible sur le site Internet d’ATUM MUNDI, rédigée par moi-même. Dans cet article étaient présentés les différents partis d’opposition, la coalition du Pacte Moonshot ainsi que le contexte politique que l’Afrique du Sud a traversé pour arriver à de tels résultats. Concrètement, l’ANC, le parti libérateur, a vu son degré de confiance baisser ces dernières années. Les principales causes sont de nombreuses affaires de corruption (ayant notamment poussé à la démission du président Jacob Zuma lors de son dernier mandat), le manque d’efficacité des services publics, un accès limité à l’électricité pour une grande partie de la population ainsi qu’un taux de chômage croissant. Pour ne pas s’attarder sur le cas sud-africain, qui a déjà fait l’objet d’une analyse, nous vous invitons à lire le précédent article.

Botswana :

Passons désormais au cas du Botswana. Les élections générales du Botswana ont eu lieu le 30 octobre 2024. Le BDP, Parti Démocratique du Botswana, au pouvoir depuis 58 ans, enregistre le score le plus faible de l’histoire du parti. Au sein du Parlement, le parti obtenait habituellement 38 sièges sur 69 ; aujourd’hui, le BDP n’en compte que 4. Avec un mode de scrutin par circonscription, le parti obtenant le plus de voix dans cette dernière remporte le siège, ce qui explique cette baisse significative. Le président sortant Mokgweetsi Massi a reconnu sa défaite. 

La raison de ce score se justifie de la manière suivante : la santé économique du pays a radicalement chuté, avec un modèle de développement n’ayant pas évolué depuis de nombreuses années, rendant le Botswana dépendant aux exportations de diamants, nombreux sur son sol. La baisse de la demande de cette pierre précieuse a donc eu pour conséquence de faire baisser la croissance du pays. En plus de cette baisse de demande, l’arrivée sur le marché des diamants synthétiques (impulsé notamment par le géant « De Beers ») limite les capacités d’exportation du Botswana. Le résultat de tout cela : un chômage grandissant à 26 %, et une croissance basse de 1 %, une moyenne très faible pour des pays dits « en développement ». Des résultats maigres, qui ont suscité l’attention de l’opposition, l’ancien président Douma Boko étant à l’origine d’une alliance d’opposition, « UDC », coalition pour un changement démocratique, ayant causé de fortes pertes électorales au camp présidentiel. Les évolutions à prévoir au sein du Botswana sont les suivantes, selon l’alliance UDC : la lutte contre la pauvreté (aujourd’hui, 14% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, avec 2,15 $ par jour), la relance de la filière du diamant tout en diversifiant l’économie dans d’autres secteurs.

Zimbabwe :

Le cas du Zimbabwe est très représentatif des monopoles des partis libérateurs au sein de la vie politique des pays d’Afrique australe. La ZANU-PF, parti libérateur devenu « oppresseur », tient le Zimbabwe d’une main de fer depuis maintenant 43 ans. Un statut qui lui a valu un soutien sans contestation dans les années 80-90. Aujourd’hui, la ZANU-PF justifie sa présence par la préservation des acquis de la décolonisation et de l’émancipation. Mais qu’en est-il réellement ? Nombreux sont les postes au sein de la gouvernance qui sont détenus par d’anciens militaires. Le pouvoir n’hésite d’ailleurs pas à user des forces armées dans les manifestations, notamment depuis l’arrivée au pouvoir du Président Emerson Mnangagwa en 2023. Depuis 2017, les militaires apportent ouvertement leur soutien de la ZANU-PF, en expliquant ne pas reconnaître d’autres partis, qui n’auraient pas les valeurs de la guerre d’indépendance, limitant la possibilité d’une alternance politique. Au-delà de la pression de l’armée sur la population et sur l’opposition politique, la corruption est également forte au Zimbabwe, atteignant la place de 157ᵉ sur l’échelle d’indice de la perception de la corruption. De nombreuses fraudes ont été perçues, commises par la commission électorale avec une manipulation de la masse électorale et des votes en faveur du parti présidentiel. L’affaire « Mugabe » de 2019 est aujourd’hui le principal exemple de soupçon de corruption, avec la disparition de 15 milliards de revenus diamantaires. Le pays souffre de mauvaises gouvernances généralisées, de non-respect des droits de l’homme, de fortes répressions de la population, d’un pouvoir fort n’hésitant pas à faire feu sur les manifestants (déjà des dizaines de morts depuis 2019) et surtout d’une alternance politique inexistante avec un parti d’opposition (le MDC) qualifié de « traître à la nation ».

Namibie :

En ce qui concerne la Namibie, les événements sont plus calmes. Au pouvoir depuis 1990, la SWAPO, parti ayant obtenu les rênes du pays à la suite de l’opération des Nations Unies en Namibie (GANUPT), a élu la première femme à la tête de son pays. Les élections du 27 novembre risquent de confirmer une baisse de la tendance positive du parti présidentiel. Le pays connaissait jusqu’à aujourd’hui une majorité forte dans les suffrages, atteignant en moyenne 75% grâce à sa forte légitimité historique. Lors des élections de 2019, la SWAPO n’a obtenu que 56% des voix, contre 84% en 2014, dans un contexte marqué par des affaires de corruption. Entre 2015 et 2020, la Namibie a perdu 14 places sur le classement Transparence International, où elle figure aujourd’hui à la 59ᵉ place. Au niveau de l’Afrique sub-saharienne, le pays fait toutefois figure de bon élève, sixième derrière les Seychelles, le Botswana, le Cap-Vert, le Rwanda et Maurice. Pour ce qui est de la conjoncture économique du pays, la Namibie perçoit une croissance stable de 5% annuelle et un taux de chômage élevé atteignant les 21%. Le parti présidentiel, malgré la présence d’une opposition politique forte (l’Assemblée Nationale a notamment été prise d’assaut le 21 septembre 2022, en opposition à l’accord sur le génocide allemand en Namibie) reste tout de même favori, faute d’alternative réelle malgré une baisse dans les suffrages en 2019.

Mozambique :

Le 9 octobre 2024, les élections considérées à ce jour comme les plus frauduleuses du pays depuis 1999 ont eu lieu au Mozambique. Depuis 1975, soit bientôt 50 ans, le parti libérateur « Frelimo » tient le pouvoir au Mozambique et obtient une fois de plus le pouvoir cette année avec à sa tête, le nouveau président Daniel Chapo, élu à 70,67% des voix. De fortes altérations dans l’annonce des résultats ont été soulignées, sans réelle justification de la part de l’État et des organes électoraux, dont la remise en question est de plus en plus importante. En ce qui concerne l’alternance politique, l’opposition, dont la voix mène à être entendue, appelle à la grève, non seulement en contestation des résultats de l’élection, mais également en protestation suite à la mort de deux opposants politiques du parti présidentiel, Paolo Gwanbe et Elvin Odias, et plus de 50 morts liés aux manifestations et répressions postélectorales. Le sentiment de fraude à la démocratie se fait d’autant plus ressentir, étant donné le faible taux de participation aux élections de cette année, atteignant seulement 43,5 % en baisse de 8,4% depuis les dernières élections. Seulement 6 millions de votants sur 17 millions d’inscrits et 33 millions d’habitants.

Madagascar :

À Madagascar, les élections législatives ont eu lieu le 29 mai 2024, mais des changements ont déjà eu lieu l’année passée, en 2023, avec les élections présidentielles. Le président sortant Andry Rajoelina fut réélu pour un second mandat. Le principal enjeu de « la Grande Île Rouge » reste aujourd’hui le coût de la vie. En mars 2023, l’inflation avait atteint 12,4 % et se semble se stabiliser aujourd’hui à 7,6 %. Ce qui permet au pays de poursuivre des efforts de croissance en passant d’un taux de 3,8 % à 4,5 % en un an (2023 – 2024). De nombreuses réformes d’amélioration d’infrastructures, permettant la stabilisation du taux de croissance sont attendues, le point faible de Madagascar restant encore à ce jour les performances faibles des entreprises du pays, ralentissant le développement économique de l’île. Concernant la dette publique, elle culmine en 2024 à 55 % du PIB. Malgré un bilan économique et sanitaire lourd (notamment lié à la période du covid), ainsi qu’une faille en 2021, le président bénéficie tout de même d’un soutien populaire relativement favorable, lié à la légère évolution de la croissance du pays. Les élections à Madagascar ont toujours été le théâtre de luttes d’influence et de moments de tensions, (déjà plusieurs destitutions, manifestations et répressions) et ne permettent pas réellement l’amélioration des conditions de vie des habitants malgré quelques signes d’évolution économique, le pays étant aujourd’hui l’un des 10 pays les plus pauvres au monde (classé 175ᵉ par rapport au PIB/hab). Si sur le papier, une alternance politique à Madagascar existe, elles ont toutes pour caractéristique d’être faites hors des règles prévues par la Constitution. La Constitution de 2010 avait pour objectif d’organiser et de préserver l’alternance politique du pays, en instaurant une 4ᵉ République, « unitaire semi-présidentielle multipartite ».

Comores :

Depuis l’indépendance, le 6 juillet 1975, les Comores mettent en place un système de présidence tournante entre les îles de l’archipel. Cela n’empêche pas la prédominance de partis sur d’autres, il s’agit simplement de la transition tous les 4 ans (initialement) du représentant de l’État, devant être issu à chaque mandat d’une île différente. Cela pose une problématique vis-à-vis de Mayotte, que les Comores considèrent comme une île de l’archipel et qui est pourtant devenu département français d’outre-mer en 2011. Lors des élections du 12 janvier 2024, Azali Assoumani, colonel et à la tête de l’État depuis 2016, brigue un 3ᵉ mandat en tant que président. Un taux de participation d’abord annoncé à 16,3 % puis étrangement rectifié à 56,4 % laisse à désirer quant à la valeur des résultats obtenus. L’opposition, se partageant entre différents partis, a rejeté de manière collective les résultats de ces votes. À la suite de ces chiffres présentés par la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), les rues de la capitale Moroni ont été prises par de violentes manifestations, suivies de fortes répressions qui ont causé la mort d’une personne. Les 5 candidats de l’opposition disent craindre une « prise d’otage », selon leurs dires, du pays par une manipulation des suffrages, ce qui ne mène qu’à plus de tensions dans le pays. Les Comores basculent dans une instabilité politique de plus en plus forte. Malgré la présence d’une opposition jusque-là tolérée, les représentants politiques de cette opposition se montrent de plus en plus inquiets, et craignent notamment la fin des périodes de campagne électorale, et donc la perte de leur immunité politique, les rendant sujets à des arrestations par les forces de l’ordre. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un parti libérateur historique, comme nous avons pu le voir avec d’autres États d’Afrique australe, le parti présidentiel « Convention pour le Renouveau des Comores » se montre de plus en plus réticent à l’idée d’une alternance politique dans le pays. Un changement se fait ressentir depuis maintenant plusieurs années, renforçant le pouvoir présidentiel sur bien des aspects. Par exemple, le mandat présidentiel est passé d’un quinquennat à un septennat, les gouverneurs des îles sont nommés (depuis 2018) par le président lui-même et non plus élus par la population comme ce fut le cas auparavant. De même pour la présidence tournante, point majeur de la Constitution des Comores, qui se verrait réformée, permettant au président élu de rester au pouvoir 14 ans au lieu de 5 ans avant de tourner avec un représentant d’une autre île. Ces débats de réformes créent une certaine méfiance des partis d’opposition depuis la première élection d’Azali Assoumani en 2016, quant à la pression pesante d’un parti de plus en plus fort sur le pays.

Ile Maurice :

Le 10 novembre dernier ont eu lieu les élections législatives à Maurice. Marqué par un fort taux de participation atteignant 80 %, avec 1 million de personnes inscrites, on a vu la victoire du Parti travailliste et de son alliance pour le changement, menée par l’ancien président Navin Ramgoolam.

Le Premier ministre sortant, Pravind Kumar Jugnauth, a reconnu sa défaite après la publication des résultats et la perte de sa majorité absolue. Cette défaite survient alors que le Premier ministre sortant se félicitait quelques jours auparavant de la mise en place d’un accord avec le Royaume-Uni concernant la souveraineté de l’archipel des Chagos. Il pensait alors que cette réussite pour la diplomatie et la politique étrangère du pays allait influencer le résultat des suffrages.

Maurice est considéré comme l’un des pays d’Afrique ayant une des meilleures santés économiques et dont le système démocratique est le plus fonctionnel. L’alternance politique existe et fonctionne, bien qu’elle soit partagée entre trois grands partis : le Parti travailliste (PT), le Mouvement socialiste mauricien (MSM) et le Mouvement militant mauricien (MMM). En ce qui concerne la conjoncture économique de l’île, elle montre des résultats encourageants. Elle enregistre un taux de croissance atteignant 7 %, un PIB par habitant de 10 000 $ et une inflation à 4,5 %, ayant considérablement baissé depuis 2023 (10,5 %). La raison de cette réussite est liée à une économie qui se diversifie de plus en plus, abordant des secteurs comme le tourisme, l’industrie manufacturière et les services financiers. Cependant, des économistes insistent pour que le pays poursuive sa diversification et mette en place des mesures sérieuses en matière de lutte contre la corruption afin d’éviter de connaître le même sort que les pays voisins.

Baisse d'influence des partis de libération, quelles évolutions à prévoir ?

Une similitude entre ces pays est observable : nombreux sont les partis de libération qui tiennent encore le pouvoir d’une main de fer. Certains usent de la force, comme le Zimbabwe, d’autres font valoir leur légitimité historique et un héritage fort, comme l’ANC et certains utilisent des réformes fortes pour modifier la structure politique de leurs pays afin de s’y maintenir, comme aux Comores. Se fait ressentir une contestation de ces partis, notamment par des manifestations de plus en plus violentes, qu’elles soient en opposition aux actions antidémocratiques ou bien des cris d’alerte face à leur lourd bilan économique et social. Des évolutions à venir sont à surveiller : peut-être que cette remise en cause progressive des partis de libération mènera à un renouveau démocratique dans la région. La perte de majorité de l’ANC en Afrique du Sud, et la nouvelle coalition gouvernementale qui en découle, marque probablement le point de départ d’une nouvelle Afrique australe. L’ANC, parti politique le plus influent de la région (si ce n’est de l’Afrique entière), joue un grand rôle dans le maintien au pouvoir de ces partis politiques. En 2008, par exemple, l’Afrique du Sud a soutenu le ZANU-PF, déjà impopulaire suite aux émeutes. Un autre exemple : le sommet de 2024 de la SADC (Communauté de Développement des États d’Afrique Australe) s’est tenu au Zimbabwe. Suite aux nombreuses répressions de manifestations et arrestations d’opposants politiques par la ZANU-PF, l’Alliance Démocratique (parti de la coalition gouvernementale avec l’ANC) a demandé que le parti de Nelson Mandela fasse pression pour délocaliser le sommet de la capitale du Zimbabwe. Une demande que l’ANC a refusé d’accomplir, privilégiant le maintien de cette alliance historique entre eux et la ZANU-PF. On voit donc que les partis libérateurs ont non seulement une histoire similaire, mais également des objectifs communs : se maintenir le plus longtemps possible au pouvoir et se présenter comme la seule solution valable pour leur pays. Cependant, la perte de majorité de l’ANC en 2024 peut signifier une baisse d’influence de ces partis. Leur auto-alimentation et leur légitimité partagée peuvent, à ce jour, être remises en question par les peuples. Une volonté de renouveau démocratique se fait ressentir dans la région, pour plus de représentation, plus de transparence et des politiques qui rehaussent réellement le niveau de vie de la population. Les oppositions sont présentes, mais n’ont pas l’amplitude qu’elles recherchent souvent à cause de fortes répressions et de manipulations des suffrages de la part des pouvoirs en place.

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