La guerre civile au Soudan, considérée comme l’une des plus graves crises humanitaires contemporaines, reste pourtant constamment invisibilisée. En France, à l’exception de deux médias, aucun expert ne mentionne le récent suicide collectif de 134 femmes.
Mais alors, pourquoi un tel silence ? Quelles en sont les répercussions ? Et que se passe-t-il aujourd’hui au Soudan pour que les soudanaises en arrivent là ? Analysons la situation.
Que se passe-t-il au Soudan ?
Pour rappel, depuis le 15 avril 2023, une guerre civile sans précédent à explosé au Soudan et deux groupes s’opposent. D’un côté, l’Armée Soudanaise (SAF), composée aussi de la marine et de l’armée de l’air, est dirigée par le chef d’État et général Al Burhan. De l’autre côté, les paramilitaires des Forces de Soutien Rapide (RSF) dirigé par le général Mohammed Hamdan Daglo. Pour information, les RSF sont accusés de génocide au Darfour, une région de l’Ouest du Soudan. En 2019, les deux groupes ont destitué le dictateur Omar El Bechir à la suite de la révolution soudanaise et du soulèvement populaire, ce qui a entraîné une intensification des violences et un climat anarchique sur tout le territoire.
Suite au coup d’État, des combats ont eu lieu dans toutes les grandes villes du pays, il y a notamment eu des combats urbains dans la capitale Khartoum pour son contrôle. Les FSR, n’ayant pas parvenu à posséder la capitale, lancent des offensives dans le Darfour et parviennent à posséder la quasi-totalité de la région semant pillages, massacres ou encore viols systématiques. Après leur offensive en janvier 2024, où ils prennent par surprise l’Armée Soudanaise, avec la prise au sud de Wad Madani, ville devenue un centre humanitaire, ils ont pu continuer leur progression jusqu’à Singa à la frontière sud-soudanaise. L’armée, souvent accusée de frappes aériennes aveugles, parvient à libérer Khartoum et repousser les FSR à Singa. Dans ce contexte instable, le conflit représente pour certains la plus grande catastrophe humanitaire au monde. Le système de santé s’est effondré dans quasiment tout le pays, et épidémies et famines terrassent la population. Une lutte pour le pouvoir, en dépit des bilans humains.

Le bilan actuel de la guerre civile
Depuis le début de cette guerre, c’est entre 20 000 et 150 000 personnes qui ont été tuées. Des milliers de personnes ont été blessées, et au moins 5 000 personnes sont détenues en tant que prisonniers de guerre ou prisonniers politiques. 2,2 millions de personnes ont fui le pays dont 34% de réfugiés au sud Soudan 30% seraient au Tchad 10,5 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, dont 5,8 millions sont des femmes. 14 millions d’enfants ont besoin d’assistance et 730.000 enfants souffrent de malnutrition aiguë sévère, d’après ONU Info. En tout, c’est 36 millions de personnes qui sont confrontés à la faim. Ces chiffres hallucinants, placent le Soudan parmi les conflits contemporains les plus sanglants et alertant, le plaçant à 4,9/5 dans le classement ACAPS de la sévérité de la crise humanitaire.
Comme l’a affirmé Cindy McCain, directrice exécutive du Programme alimentaire mondial (PAM), après sa visite au centre d’aide de Port-Soudan, le pays pourrait connaître la plus grande crise humanitaire jamais vue si un cessez-le-feu n’est pas conclu rapidement.

Les violences sexuelles comme arme de guerre
Les violences sexuelles en temps de guerre nourrissent un schéma très ancré qui est de dominer par la force, d’humilier et de diviser les populations entre elles. C’est une arme sous-estimée qui vise à détruire psychologiquement un peuple. Elle est chaotique sur le plan humanitaire et économique.
Au Soudan, cette stratégie de domination est centrale pour les groupes armés. En détruisant villages et infrastructures, ils se contentent d’imposer le chaos et d’affaiblir les populations. Mais en perpétrant des violences sexuelles contre les plus faibles, ils sèment la terreur, attisent les conflits intra-familiaux et cultivent le doute. Ils infligent un traumatisme profond, et pour accompagner les victimes dans leur reconstruction, un coût souvent trop important leur est imposé. Le proverbe « Diviser pour mieux régner » résume parfaitement le caractère malsain de ces crimes.

Un cri silencieux : l’indifférence face au suicide collectif d'une centaine de femmes ?
Le mardi 29 octobre, 134 soudanaises ont mis fin à leurs jours pour échapper à la terreur et au mal-être causés par leurs agressions sexuelles. Ce « suicide collectif » souligne l’impossibilité de se reconstruire et l’aspect tabou de ces crimes, pourtant reconnus par l’ONU.
Dès le début du conflit, des faits de viol, d’esclavage et de violences sexuelles – qualifiés de crimes de guerre et de violations du droit international – avaient pourtant été rapportés. Cependant, ces actes demeurent peu, voire pas du tout, médiatisés par la presse et les différentes plateformes d’information. Pourtant, ils revêtent une signification symbolique très forte. Les populations choisissent de mettre fin à leurs jours, perdent tout espoir et préfèrent mourir plutôt que de faire face une nouvelle fois à ce qu’elles vivent.
Certaines critiques attribuent ce manque d’intérêt par la couleur de peau et à la religion musulmane des populations victimes, ainsi qu’à la couverture médiatique d’autres conflits à l’échelle mondiale comme les conflits qui secoue le Moyen-Orient ou la guerre en Ukraine.

Ce silence insoutenable n’est cependant pas absolu. Depuis le début de la guerre civile, l’ONU alerte sur les crimes contre l’humanité et les conditions insupportables que subissent les populations face aux violences des groupes armés, affirmant mobiliser tous les efforts pour mettre fin au conflit et protéger les civils, y compris les réfugiés. Plusieurs accords de cessez-le-feu ont été négociés par d’autres États régionaux et par les États-Unis mais sans succès.
Le Soudan, riche en ressources naturelles, notamment en gisements d’or, d’uranium et de fer, attire l’attention de plusieurs grandes puissances régionales et mondiales. Malgré cette richesse, le pays figure toujours parmi les pays les plus pauvres du monde. Situé à la croisée des cultures et ethnies arabes et africaines, il constitue un enjeu stratégique pour des pays comme la Chine, l’Égypte, les Émirats arabes unis et la Russie, qui voient en lui un intérêt géopolitique plutôt qu’humanitaire.
Les Émirats arabes unis, bien qu’ils ne participent pas directement à la guerre, auraient fourni des armes et un soutien politique aux FSR, tandis que le Tchad a facilité le transfert d’armes à travers son territoire. Les FSR entretiennent également des liens commerciaux avec des groupes russes, comme Wagner, et une entreprise de drones. En revanche, l’armée soudanaise bénéficie du soutien de l’Égypte et de l’Ukraine, et a établi des relations avec la Chine, l’Iran et la Russie pour l’acquisition de matériel militaire.

Les Émirats arabes unis, bien qu’ils ne participent pas directement à la guerre, auraient fourni des armes et un soutien politique aux FSR, tandis que le Tchad a facilité le transfert d’armes à travers son territoire. Les FSR entretiennent également des liens commerciaux avec des groupes russes, comme Wagner, et une entreprise de drones. En revanche, l’armée soudanaise bénéficie du soutien de l’Égypte et de l’Ukraine, et a établi des relations avec la Chine, l’Iran et la Russie pour l’acquisition de matériel militaire.
“Maintenant, j’ai peur d’être enceinte... Je crains de ne pas pouvoir le supporter.”

Les RSF, dans leur lutte sanglante, ont rejeté le dernier rapport de l’ONU, qui fait état d’une hausse des violences sexuelles commises par leurs combattants. Selon eux, ces accusations manquent de preuves. Le suicide de 134 femmes ne serait donc apparemment pas, à leurs yeux, un indicateur suffisant de leurs crimes ?
De nouveaux témoignages continuent cependant d’émerger, affirmant que de plus en plus de femmes mettent fin à leurs jours. Depuis le dernier bilan, qui comptait 134 suicides, plusieurs autres femmes auraient perdu la vie dans la région centrale du Soudan, notamment dans l’État de Gezira.
« J’ai laissé les combattants me violer pour sauver mes filles », témoigne une mère de famille dans cette zone de guerre au Soudan. « Il y a tellement de femmes ici qui ont été violées, mais elles n’en parlent pas », dit-elle, « Quelle différence cela ferait-il, de toute façon ? ».
« Pour certaines jeunes filles, les RSF les forcent à rester allongées dans les rues la nuit. Si elles rentrent tard du marché, les forces de sécurité les gardent pendant cinq ou six jours ».
Elle ajoute, « Dans votre monde, si votre enfant sortait, vous la laisseriez ? Vous iriez la chercher, bien sûr ! Mais nous, que pouvons-nous faire ? Rien n’est entre nos mains, personne ne s’occupe de nous. Où est le monde ? Pourquoi ne nous aide-t-il pas ? ».
Ce témoignage appuie sur cette détresse omniprésente que provoque cette guerre civile, où on constate que même l’espoir a disparu. L’une des voisines de cette mère de voisine, une adolescente de 15 ans, est également tombée enceinte après avoir été violée, tout comme sa sœur de 17 ans, agressée par quatre soldats. Les habitants, réveillés par des cris, seraient sortis pour voir ce qui se passait, mais les hommes armés les auraient menacés de mort s’ils ne rentraient pas chez eux. L’impuissance de ces femmes les pousse ainsi à s’interroger sur le silence des autres pays, en particulier ceux qui se revendiquent garants des droits de l’homme et de la paix dans le monde. Que font-ils pour éviter ce conflit et pour instaurer un véritable cessez-le-feu ?
Que pourrait-il se passer au Darfour à l’avenir ? Quelles conséquences pour les femmes ?
Depuis plusieurs mois, les FSR envisagent de déclarer un gouvernement parallèle au Darfour, en particulier à Al-Fasher, où des offensives ont été menées. Si la capture de cette ville se concrétise, la situation des populations, notamment des ethnies comme les masalit, deviendra encore plus préoccupante. Les FSR ont déjà établi des « administrations civiles » dans certaines zones qu’elles contrôlent, où des massacres continuent d’avoir lieu. Malgré l’accès difficile aux zones pour les organisations humanitaires souhaitant venir en aide aux victimes, les opérations sont entravées par le niveau élevé de violence et d’insécurité. Dans l’ensemble, il n’y a pas d’aide humanitaire significative sur le terrain, à l’exception de celle provenant du Port-Soudan sur la mer Rouge.

Si les FSR parviennent à contrôler la capitale, ce qui n’est pas encore assuré car l’armée résiste avec l’aide de milices locales, elles pourraient renforcer leur domination sur le Darfour-Nord, confirmant ainsi les craintes d’un génocide. Actuellement, les deux parties prétendent gagner la guerre. Bien que les FSR aient pris le dessus militairement, la majeure partie du Soudan occidental est toujours contrôlée par l’armée soudanaise.
Il est évident que si les FSR poursuivent leurs attaques contre les populations, les femmes subiront encore davantage ces crimes abominables dans le silence. Pour éviter cela, il est essentiel que des pays occidentaux, comme la France, s’emparent de cette question, médiatisent davantage ce conflit et prennent pleinement conscience de la gravité de la situation à une échelle plus large qu’actuellement. Malheureusement, dans le cadre de cette guerre civile, les crimes de viol et d’agressions sexuelles ne sont considérés que comme un crime parmi tant d’autres pour l’instant. À ce jour, aucune garantie n’est donnée aux femmes pour leur permettre une protection et un accès aux soins nécessaires. Dans ce conflit, elles sont réduites à la volonté de certains hommes cherchant à les dominer. Elles se retrouvent impuissantes face à la situation et laissées à l’abandon, comme chaque victime de ce conflit.
Malgré les efforts des Nations unies et des agences d’aide, qui ont permis de nourrir et de soigner des millions de personnes, les financements restent insuffisant pour garantir la sécurité des populations. La situation préoccupante de la population soudanaise reste donc en suspens. Nous espérons qu’à l’avenir, une veille médiatique active permettra aux médias de traiter ce sujet avec la même intensité que d’autres conflits mondiaux.
Sources :
Ian Wafula, « Après avoir été violées, plusieurs femmes se suicident, selon de nouveaux rapports », BBC, 31 octobre 2024.
Barbara Plett Usher, « « J’ai laissé les combattants me violer pour sauver mes filles »: Une mère dans la zone de guerre du Soudan », BBC, 3 octobre 2024
Mohammed Elibrahimi Isamaldeen, « Soudan : des dizaines de milliers de personnes en danger de mort si le monde n’intensifie pas sa réponse », News UN, 13 août 2024.
Laura TALOC